Par Daniel Cagnolati
D’une extraordinaire qualité, la peinture de genre 1900 fait revivre une époque. Si elle peut constituer une bonne affaire, notamment à l’export vers les pays anglo-saxons. Elle peut aussi nous émouvoir.
« Ses détracteurs la trouvent ringarde. Des passionnés d’art contemporain pourront même aller jusqu’à ne pas la regarder, voire la nier. Elle est politiquement incorrecte aujourd’hui. Même un tableau de ce genre ayant une dimension onirique ou sociale n’est pas mieux valorisé ». Ainsi s’exprime Michel Cabotse, galeriste et expert en peintures des XIXe et XXe, membre de la CNES (la Confédération nationale des experts spécialisés), en parlant de la peinture de genre 1900. « Pourtant, elle a existé et est d’une qualité époustouflante », poursuit-il. « Elle a ses passionnés aux États-Unis, mais aussi en France. Ceux-ci ne la réduisent pas aux simples reflets d’une société bourgeoise ni ne cherchent à l’instrumentaliser. » Michel Cabotse tire pour nous les conséquences financières d’une telle situation. « Le marché est plutôt au creux de la vague : la décote a été nette ces dernières années. Mais c’est le moment d’acheter, car c’est une question de mode. Les prix sont actuellement trop bas par rapport au niveau de qualité élevé. » Avis aux amateurs donc !
Mais qu’est-ce donc exactement que cette « peinture de genre 1900 » que l’on trouve encore sur certains des plus grands salons d’antiquaires internationaux comme la TEFAF ou la Biennale de Paris ? Alors que s’éteignent les premiers feux de l’impressionnisme et que les écoles modernes pointent le bout du nez, cette peinture occupe un espace relativement réduit. Bien vite, elle sera étouffée par les Pointillistes, les Nabis, les Fauves, les Cubistes et, évidemment, par la très célèbre École de Paris, qui définira la modernité.

Parfois taxée d’académique ou de bourgeoise, la peinture de genre 1900 est plus que cela, car ses sujets sont bien de son temps et reflètent celui-ci. Elle constitue un témoignage, parmi d’autres, sur la Belle Époque. Certains lui reprochent même d’avoir donné une image trop flatteuse de cette période. Cependant, par la précision du trait et le souci des détails, elle nous apprend bien des choses sur 1900 et émeut ceux qui prennent la peine de la contempler. Cela est d’autant plus vrai que les artistes qui la pratiquaient possédaient une très grande maîtrise technique de leur art. La plupart d’entre eux ont bénéficié d’une formation très poussée. On la retrouve principalement en France et en Belgique, mais aussi quelques fois en Angleterre, en Italie, en Allemagne, au Danemark… Aujourd’hui, les Américains l’adorent.
Le genre n’est pas non plus à l’abri de certaines contradictions. Quand un Chocarne-Moreau, l’un de ses plus illustres représentants, nous dépeint des enfants travaillant dans la joie (ramoneurs, boulangers, cuisiniers…), il fait fi de la dureté de leur travail. À l’inverse, d’autres artistes traitent le thème du travail avec une technique proche, mais une approche différente, plus sociale, à l’instar d’un Ferdinand Gueldry (voir encadré). Pourtant, un peintre comme Chocarne-Moreau connaissait un grand succès en son temps.
L’importance des Américains
N’hésitons pas à donner la parole à un galeriste de « l’autre bord »… Olivier Houg est lyonnais. Il est spécialisé dans la peinture moderne ! Il est également membre de la CNES. « La peinture de 1900 est davantage demandée par les étrangers que par les Français », estime-t-il. « Mais les Anglais et les Américains sont moins présents », poursuit-il. « Actuellement, les collectionneurs se tournent vers des choses plus modernes, avec un goût certain pour les ruptures. Toutefois, ce genre revêt, selon moi, un intérêt quand on peut placer le tableau dans le contexte social de l’époque. Le prix remonte alors. » La misère ferait-elle vendre ?

D’un autre côté, on trouve Noé Willer, galeriste parisien qui a notamment écrit des livres sur Eugène Galien-Laloue et sur Luigi Loir, deux éminents représentants de la peinture de genre 1900. « Paradoxalement, ce type de peinture continue à se raréfier sur le marché alors que les prix poursuivent leur baisse », relève le spécialiste de la question. « Les ventes étaient portées par les touristes et particulièrement les Américains. Dans les grandes familles d’outre-Altantique, il est fréquent de trouver de telles toiles. En revanche, en France, la peinture de genre 1900 est souvent jugée comme des illustrations adroites (sans jeu de mots), voire considérée comme un art mineur. » Il y a quand même des exceptions, comme Gérôme. « En effet, mais c’est parce que son symbolisme et son orientalisme font qu’il est encore apprécié. Prenez des artistes comme Geoffroy (qui signait Géo) ou Chocarne-Moreau, qui ont trouvé une écriture picturale avec le gamin de Paris, leurs cotes sont soutenues par la clientèle internationale. Le marché français actuel est timide pour ce type de peinture ; il préfère l’Après-Guerre, les abstraits. » Et notre interlocuteur de généraliser le propos : « Le retrait des Américains a fait s’écrouler la valeur de beaucoup de pièces et d’objets de tout le XIXe siècle ».
Des réflexes de consommateurs éphémères
La frilosité de la demande n’incite pas les vendeurs à proposer leurs plus belles toiles. Cela n’est pas sans conséquence, comme nous le détail Noé Willer. « De Luigi Loir, Victor Gilbert ou Eugène Galien-Laloue, on ne trouve actuellement que des sujets mineurs sur le marché français, pas de belles pièces ».

« La misère ferait-elle vendre ? », nous interrogions nous. Noé Willer ne le pense pas, tout en donnant une portée sociologique à son analyse. « Même le côté social de certaines toiles ne touche plus guère les acheteurs. L’art est de plus en plus éphémère, à l’image de notre société de consommation. On retrouve partout des réflexes de consommateurs éphémères, y compris dans l’art. » Dans ces conditions, acheter autre chose que ce qui est la tendance du moment demande un certain effort et de la culture. Quant aux spéculateurs, « ils ont toujours existé », lance notre expert. On ne les confondra donc pas avec les consommateurs…
L’évocation d’un temps révolu
Aujourd’hui, la peinture de genre 1900, outre ses qualités techniques et artistiques, possède un pouvoir de nostalgie, d’illustration, de description d’un lieu et d’évocation d’un temps révolu qui peut attirer l’amateur. Elle procure un réel plaisir à l’œil. Modérément présente au sein des musées, cette peinture, bien plus subtile qu’il n’y paraît, peut resurgir au sein d’institutions qui souhaitent mettre en valeur les artistes de leur région.

En dépit du calme actuel du marché, il demeure plusieurs faux datant d’une époque encore récente où la peinture de genre 1900 était fortement demandée. Il conviendra donc de se faire conseiller par un expert pour des achats importants (au-delà de 5 000 euros, environ) ou de se présenter chez un marchand qui a pignon sur rue. Même si elle peut constituer un bon placement pour l’avenir, au vu de la faiblesse de ses prix actuels, ce genre est aussi un coup de cœur qui ne saurait décevoir l’acquéreur.
Des noms, des prix
Les premiers prix se situent vers 1 000 euros. Certains se chiffrent en dizaine de milliers d’euros. Toutefois, ces derniers sont devenus moins fréquents. Les très belles toiles sont peu nombreuses sur le marché, car ceux qui les possèdent préfèrent attendre des jours meilleurs pour les mettre en vente. Entre 3 000 et 5 000 euros, on trouve un grand choix de tableaux de qualité qui valaient bien plus voilà quelques années.
La plupart des artistes qui suivent ont une cote internationale. Les Français se vendent parfois mieux à l’étranger !
Henri-Ferdinand Bellan (1870-1922). De 500 à 1 000 euros.
Jean Béraud (1849-1935).
Eduard Charlemont (1848-1906). Entre 1 000 et 5 000 euros, parfois au-delà.
Paul-Charles Chocarne-Moreau (1855-1931). Entre 1 000 et 8 000 euros, parfois près de 20 000 euros.
Édouard Cortes (1882-1969). De 2 000 à 50 000 euros, mais moins de 10 000 euros pour la majorité des toiles de ce peintre célèbre pour ses vues de Paris.
Émile Claus (Belgique, 1849-1924). Il est considéré et apprécié au-delà de la peinture de genre 1900.
Delphin Enjolras (1857-1945). Entre 2 000 et 20 000 euros, souvent moins de 5 000. Ses atmosphères évanescentes peuplées de jolies femmes des années 1920 sont aussi à prendre en compte.

Eugène Galien-Laloue (1854-1941). Entre 1 000 et 5 000 euros, pour la plupart des peintures de cet artiste connu comme Édouard Cortes pour ses vues de Paris. Un délice pour les touristes américains !
Geoffroy, dit Géo (1853-1924).
Victor Gilbert (1847-1933) : de 3 000 à 100 000 euros… La « star » de la catégorie !
Ferdinand Gueldry (1858-1945). De 1 000 à 35 000 euros.
Luigi Loir (1845-1916). De 3 000 à 10 000 euros, en général.
Adrien Moreau (1843-1906). De 3 000 à 30 000 euros.
Fernand Toussaint (Belgique, 1873-1955).
Léon Zeytline (1885-1962).
Lire
Eugène Galien Laloue, Par Noë Willer, Catalogue raisonné.
Luigi Loir, Par Noë Willer, Catalogue raisonné.
Voir
Musée Carnavalet, Paris 3e,
Musée des Beaux-Arts de la ville de Paris (Petit Palais), Paris 8e
Musée d’Orsay, Paris 7e
Les peintres « historiques »
On les qualifie de néogothiques ou d’historiques. Ces peintres de la fin du XIXe siècle ont en commun avec ceux de genre 1900 un travail précis et de qualité, un style, ainsi qu’un même marché à l’époque où ils travaillaient, celui de la bourgeoisie. Ils ont pour différence les sujets : médiévaux, Renaissance (de grands faits historiques comme l’assassinat du duc de Guise), ou le XVIIIe siècle (bergères, chasses, fêtes galantes…). Ils sont à rapprocher des romans d’Alexandre Dumas ou des immeubles parisiens néo-Louis XV de cette fin du XIXe siècle, ou du mobilier de l’Escalier de Cristal, de Sormani et d’autres. Toute une époque ! On les retrouvera, par exemple, au château de Blois et surtout dans l’aile Louis-Philippe du château de Versailles. Leurs œuvres sont moins présentes sur le marché.