Adoration des mages

Mobilier et sculpture / La Haute Époque

Par Daniel Cagnolati

La Haute Époque comprend les meubles, objets d’arts décoratifs, statues et peintures antérieures à 1650. Concentrons-nous sur le mobilier et la statuaire qui constituent l’essentiel de ce marché, un marché stable et sérieux, avec des prix bien moins élevés que l’on pourrait le penser.

Concrètement, pour le marché, la Haute Époque ne commence vraiment qu’à partir de 1350, car on ne dispose guère d’objets antérieurs à cette date, sauf dans les musées. Jusqu’en 1990, la Haute Époque était considérée comme la partie la plus noble des antiquités. Elle était même devenue un moyen de distinction sociale.

Dans les années 1960 et 1970, on assista à une nette importation de meubles Haute Époque en provenance d’Espagne ; certains étaient rustiques, telles les tables de ferme, d’autres plus recherchés, tels les bargueños, d’autres étaient des faux. Il s’agissait bien de faux, au sens pénal du terme, c’est-à-dire une copie qu’un individu à l’intention de faire passer pour authentique ! Une partie de cette production demeure sur le marché ou dans les collections.

Galerie Yesterday Knuts, Bargueno En Noyer, Espagne XVII Siècle, en vente sur Antikeo

Cependant, comme la Haute Époque est moins populaire aujourd’hui, les copies les plus médiocres ont été « physiquement » éliminées. On n’en produit guère de nouvelles. De toute manière, une facture très détaillée est hautement recommandée pour un achat dans un tel domaine (époque, nature des bois et des restaurations, dimensions, prix…).

En outre, il est parfois possible d’utiliser de vieux bois pour fabriquer des faux. Quant à la pierre, il n’existe pas de méthode de datation directe (voir encadré). Dès lors, l’expertise sera aussi esthétique et historique..

Une production qui a duré

Dans des provinces éloignées, on a continué à produire longtemps du mobilier dans le style du XVIe et du début du XVIIe. Les armoires du Sud-Ouest, avec des portes dites en pointe de diamant, en sont l’exemple. Il en est de même pour les armoires alsaciennes, dont certaines étaient encore fabriquées dans la tradition de la Renaissance germanique, bien après la conquête de l’Alsace par Louis XIV !

Galerie Atena, Paire de sellettes gaine en noyer mouluré sculpté à décor de fruits et végétaux, en vente sur Antikeo

Au XIXe siècle, avec le romantisme, de nombreux faux et remontages ont été réalisés pour satisfaire une clientèle avide de rêveries médiévales ou de la Renaissance. Parfois, il s’agissait de pures copies néogothiques vendues comme telles, mais pas toujours… Cette production se fit même de façon industrielle à la fin du XIXe siècle, comme en témoignent les buffets néo-Henri II, improprement appelés « Henri II ».

Un petit morceau du Moyen Âge

Aujourd’hui, la Haute Époque n’est pas seulement recherchée par des historiens cultivés ; elle l’est aussi pour ses qualités esthétiques, son ancienneté et l’effet de contraste décoratif qu’elle produit. Les amateurs du genre sont très loin d’être des snobs. Ils comprennent qu’il est rare qu’un meuble ou une statue qui a plus de quatre siècles ait survécu non sans quelques restaurations. En général, celles-ci se remarquent par une texture et une nature différente des bois. Ici, on appliquera la règle habituelle : pas plus d’un tiers d’éléments changé ! Cela dit, nous pouvons accepter de dépasser cette limite pour avoir « un petit morceau du Moyen Âge » chez nous.

Les styles de la Haute Époque

1. Le gothique

C’est le style de la seconde partie du Moyen Âge (le bas Moyen Âge). Il perdure jusqu’en 1453, environ, et même 1500 en dehors de l’Italie. Les meubles sont relativement peu variés : des coffres, des buffets (particulièrement de type crédence ou dressoir, qui apparut au XIVe siècle), des grandes tables, des chayères, des sièges curules à l’Antique, des bancs… Signe des temps, en France, la corporation des menuisiers sera créée en 1404.

Les statues peuvent être en pierre ou en bois ; ces dernières étant les plus nombreuses, on les trouve surtout en tilleul. Elles sont essentiellement religieuses. Les grandes régions productrices sont la Bourgogne, la Lorraine, l’Île-de-France, la Catalogne, la Bavière, la Rhénanie… Lors d’un achat, quelques manques et coups sont tolérés. Des traces de polychromie constituent un plus sur ces sculptures, dont le style demeure médiéval jusqu’au milieu du XVIe siècle dans certaines régions d’Europe, donc plus rigide, plus hiératique, que pour celles de la Renaissance.

2. La Renaissance

Avec la Renaissance, les statues reflètent l’humanisme, le sens du mouvement et une plus grande finesse d’exécution. Le mobilier se diversifie, d’abord en Italie au XVe siècle, puis au XVIe siècle en France et ensuite dans le reste de l’Europe. Le mot « ébéniste » apparaît pour désigner le menuisier qui travaille l’ébène, ce bois exotique dur arrivé lors des Grandes Découvertes.

Galerie Puiseux, Coffre époque Renaissance, en vente sur Antikeo

Un meuble emblématique de ce temps apparaît, le cabinet. Celui-ci comporte de nombreux petits tiroirs, petites portes et compartiments. Il se rencontre d’abord en Italie avec des placages, de la marqueterie, des miroirs d’argent et des incrustations (de pierres dures, d’ivoire, d’écaille…). Par la suite, au XVIe siècle, les cabinets anversois, hollandais et parisiens deviennent réputés auprès d’une clientèle fortunée. Ils sont des meubles de prestige et le sont restés aujourd’hui.

Les armoires commencent à surgir, mais timidement.

Le coffre devient plus sophistiqué et se garnit de sculpture. L’Espagne voit naître le bargueño apparenté au coffre et au cabinet.

De très beaux buffets en bois naturel sculpté sont réalisés en France au XVIe, particulièrement en Île-de-France et en Bourgogne, notamment sous le règne d’Henri II. Les noms des très réputés Hugues Sambin (1520-1601), le Bourguignon, et d’Androuet du Cerceau (1510-1585), l’Orléanais, sont arrivés jusqu’à nous. Les dressoirs ou crédences deviennent plus sophistiqués, surtout dans le nord de la France et en Flandre.

3. Le style Henri IV

Le règne d’Henri IV clôt la Renaissance dont il conserve encore bien des caractéristiques. Dans le petit monde des antiquités, on remarque surtout, de cette époque, les chaises et fauteuils droits à entretoises torsadées ainsi.

4. Le style Louis XIII

On pénètre ici dans un domaine où la marchandise devient accessible et relativement fréquente. Les prix sont étonnamment accessibles, surtout si on les compare à ceux du design !

Au début du XVIIe siècle, le mobilier se diversifie davantage, avec le développement de la bourgeoisie. Toutefois, il faudra attendre le règne de Louis XIV pour voir apparaître la commode. Le mobilier Louis XIII est surtout en bois naturel (sans marqueterie ni placage). Les ébénistes hollandais débarquent en France. Pierre Golle (1620-1685), né en Hollande, est particulièrement célèbre et novateur. Le style Louis XIII s’est implanté profondément en province, particulièrement dans le Sud-Ouest. Il a perduré quasiment jusque dans les années 1800, sauf à Bordeaux.

Le fauteuil présente des accotoirs droits et un dossier légèrement incliné en forme de rectangle horizontal (et non vertical comme pour les modèles Louis XIV). Il comporte des entretoises entre ses pieds. Celles-ci sont torsadées, mais pas toujours dans les régions rurales.

Galerie Antiquités Christophe, Buffet Quatre Portes Louis XIII En Noyer fin XVII, en vente sur Antikeo

L’armoire est haute (souvent plus de 2 mètres). Elle est à deux ou quatre portes avec des décors notamment dits en pointe de diamant. Comme les buffets, certaines armoires présentent de belles sculptures (des cariatides et des colonnes notamment). Les réalisations suisses, alsaciennes, hollandaises et vénitiennes sont réputées.

Le cabinet et le buffet conservent leur style Renaissance, mais sont souvent plus imposants.

La table (pour manger) est grande. Ce qui n’est pas le cas de celle de changeur et du bureau dit Mazarin (du nom du Premier ministre de la fin du règne de Louis XIII), qui sont aussi emblématiques de ces années-là.

Galerie Méounes Antiquités, Grand coffre de Nuremberg polychromé avec cadenas, en vente sur Antikeo

De nombreuses petites tables sont créées. Les plus belles sont dans des bois exotiques, dont le plus rare et le plus cher est le gaïac. Leurs pieds sont reliés par des entretoises en H. On en trouve encore beaucoup chez les antiquaires. Les modèles provinciaux sont particulièrement abordables (moins de 1 000 euros, voire moins de 500 euros).

Quant aux statues, leur style change, la Renaissance cède la place au baroque avec son goût pour l’exubérance, les courbes et la flamboyance, qui veulent célébrer le triomphe du catholicisme sur l’austérité protestante. On trouve encore aujourd’hui bien de ces angelots et autres statues issus d’églises, de couvents ou de chapelles d’Espagne, des Flandres, d’Italie, de Bavière ou de France.

L’avis des scientifiques

Le laboratoire MSMAP, de Pessac, près de Bordeaux, est spécialisé dans l’analyse de matériaux anciens. Il travaille notamment pour les antiquaires et les archéologues. Nicolas Poirier, l’un de ses membres, répond à nos questions.

Utilisez-vous la datation au carbone 14 pour le bois des statues et des meubles ?

« La datation au carbone 14 se pratique surtout pour les objets antérieurs à 1600, car à partir de cette date le taux de carbone dans l’air devient trop variable. En outre, même avant cette date, il faut compter avec une marge d’erreur d’environ cinquante ans. »

Et la dendrochronologie ?

« La dendrochronologie, une technique basée sur les cernes de croissance du bois des arbres, est plus précise, mais bien plus compliquée et bien plus chère à mettre en œuvre. En outre, elle nécessite des prélèvements assez importants. Je ne suis pas certain que le propriétaire d’une statue médiévale accepte qu’un laboratoire lui en retire un morceau. Cette technique est donc rare et surtout pratiquée en archéologie. »

Que faire si le bois est ancien, mais pas la statue ou le meuble faits dans ce bois ?

« Si un petit malin a réussi à se procurer des bois anciens pour faire un faux, nous analyserons par exemple des éclats de peinture. Un expert analysera aussi le style d’un point de vue historique. »

Vous analysez donc aussi les peintures, mais également d’autres choses ?

« Nous analysons non seulement la peinture, mais, sur d’autres objets, les dorures et les laques pour déterminer leurs caractéristiques et ainsi les dater (leur composition a changé dans le temps). Pour les bronzes français, par exemple, nous savons qu’il existe un changement de la composition de l’alliage entre le XVIIe et le XVIIIe siècle. »

Et les traces d’outils vous inspirent-elles ?

« Les traces d’outils sur le bois des statues sont peu parlantes pour nous. »

Comment procédez-vous pour les statues en pierre ?

« Pour la pierre, il n’existe pas de technique de datation du matériau lui-même. On analyse d’abord le vieillissement de la partie externe. On regarde si elle provient de la région d’origine de l’objet. On examine si les altérations superficielles naturelles correspondent au lieu, à l’époque et au climat de la région. Notez que pour le marbre, il n’y a d’altération parlante pour les scientifiques qu’après deux siècles. »