L’expression « arts africains traditionnels » pose deux questions essentielles et complémentaires. La première, celle de la définition de l’esthétique proprement africaine. La seconde, la manière dont les significations et les usages culturels des différentes sociétés s’inscrivent au sein de cette production. Cette esthétique et ces usages sont multiples, et propres à chaque société. Trônant depuis les années 30 dans les vitrines des musées, les arts premiers et notamment les masques ont longtemps servi d’outils de référencement des cultures africaines par les européens. Leur production n’est pourtant pas inhérente à toutes les populations de ce continent, c’est une étiquette collée par le début du XXème siècle.
Quand l’Europe s’en mêle
À partir de la fin du XIXe siècle, la présence européenne en Afrique donne lieu à deux phénomènes de création artistique. La première est une production destinée à l’exportation pour le plaisir des Européens, comme le sont les ivoires afro-portugais. Le second type de production montre le développement d’un syncrétisme, né de la rencontre entre les arts européens et africains. La figure du Christ des crucifix kongo relève bien de l’iconographie européenne occidentale, tandis que ses yeux exorbités et ses pieds larges relèvent d’un traitement spécifique des ateliers kongolais. De plus, ils servent tout aussi bien à faire venir la pluie qu’à intercéder avec des forces surnaturelles.
Le XXe siècle est aussi marqué par le fait que les explorateurs entrent véritablement à l’intérieur du continent et « découvrent » de nouvelles populations ainsi que de nouveaux objets. Les missions ethnographiques comme celle reliant Dakar à Djibouti, menée par Marcel Griaule en 1931, rapportent en France beaucoup de matière aux scientifiques : objets du quotidien ou plus exceptionnel, retranscriptions de chants, descriptions de rituels.

L’intérêt des artistes d’avant-garde et des marchands-collectionneurs à propos ce « nouveau » pan de l’histoire de l’art marque le début de ce siècle. Cet intérêt est renforcé par les Expositions universelles et coloniales, qui apportent tout un nouvel artisanat inconnu jusqu’alors. Paul Gauguin visite un des villages africains de l’Exposition universelle de 1889 et achète deux statuettes. Puis, il refaçonne l’une d’entre elle en ajoutant de la couleur et des yeux, et la signe de son nom. Les masques Fang du Gabon fascinent Maurice de Vlaminck tandis que Picasso découvre les masques de la population Krou au Musée d’Ethnographie du Trocadéro en compagnie de Henri Matisse.
Formes et typologies des masques
Contexte et utilisation
Le masque dans l’art traditionnel africain est une institution très ancienne. En effet, quelques figures humaines et cornues apparaissent en effet dans les fresques de Tassili en Algérie. C’est une production généralement associée au domaine artistique, alors que la portée d’’un masque est avant tout rituelle. Il est associé à différents rites agraires, funéraires ou initiatiques. La grande diversité des formes et des matériaux reflète bien la diversité des usages.
Le masque revêt une dimension religieuse lorsque les rituels servent à relier le monde des vivants à celui des morts. Parfois, leur exhibition a pour but de mettre en scène les évènements remarquables qui se sont produits à l’origine du monde. Ils renvoient soient aux cosmogonies, soit au faits et gestes des héros fondateurs des clans ou des royaumes.


Ils sont parfois protecteurs. Effectivement, les masques sont également utilisés pour protéger la société des malfaiteurs et des sorciers. Ils sont alors détenus par les membres des sociétés secrètes. Ils permettent d’éloigner les maladies, les conflits ou les catastrophes naturelles. Au final, il est difficile de comprendre le masque africain coupé de son mouvement, du rite pour lequel il a été conçu, sans la danse ni les musiques qui l’accompagnent.
Quelle forme prend-il ?
Le masque est donc lié, par essence, à une cérémonie, un rituel. À la base, il n’a pas pour vocation de servir plusieurs fois, voire d’être conservé. C’est la demande européenne et les collectes des missions d’explorations qui permet d’observer aujourd’hui une telle diversité de types. En feuilles, fibres, vannerie ou tissu, ils sont considérés comme les plus anciens et sacrés. Les plus classiques sont composés d’un loup posé sur la face du danseur et d’un costume complet.
Les masques à lames, ou sirige, Dogons peuvent mesurer jusqu’à plusieurs mètres de haut. Ils sont utilisés durant la cérémonie du dama, qui marque la fin d’une période de deuil.

La diversité de formes fait avec la diversité iconographique. Ainsi, le masque peut prendre une forme anthropomorphe, zoomorphe, hybride ou même d’objets. Les accessoires du masque comme le costume ou les peintures apportent une signification supplémentaire.
Diversité des masques africains anciens
L’impressionnante diversité des masques dans l’art traditionnel africain reflète aussi l’immense diversité des sociétés qui compose ce continent. À travers quelques exemples fameux, prenez contact avec ce formidable pan de l’histoire de l’art que sont les masques dans l’art traditionnel africain.
Culture Baoulé
La culture Baoulé vient de l’ancien royaume Ashanti. Basé au Ghana et dans une partie du Togo, la richesse de ce royaume est fondée sur l’or. Ensuite, la société Baoulé migre vers l’ouest pour se baser en Côte d’Ivoire. Là-bas, ils y rencontrent d’autres populations qui leur enseignent la pratique du masque, qui n’existait pas dans cette société.

Les Baoulé transfèrent les propriétés de l’or dans le bois. Le modelé très lisse est accentué par la patine qui lui confère une surface brillante. Les masques témoignent du soin apporté aux détails, en particulier ceux la coiffure et du regard. Ces masques influencent les artistes du XXe siècle, comme Man Ray qui s’en sert pour composer ses photographies.
Culture Dan
La société Dan s’établit en Afrique de l’Ouest, principalement au centre-ouest de la Côte d’Ivoire. Le masque possède encore un rôle essentiel au sein de cette société. Il est la « matérialisation d’esprits désireux d’exercer une influence sur la vie du village » pour reprendre les mots d’Eberhard Fischer. C’est pourquoi ils interviennent lors de rituels religieux, politiques ou sociaux, comme la plupart des masques de cérémonie africains.

Ces masques peuvent prendre une apparence féminine, masculine ou encore animale. Ils sont reconnaissables notamment par une nervure frontale (qui représente une scarification) qui va, généralement, du front jusqu’à la bouche.
Culture Fang
La culture fang s’étend sur le Cameroun et la Gabon. Le masque ngil est façonné par une société secrète dont le but est la recherche et la mise hors d’état de nuire des sorciers. Le masque est taillé dans du bois tendre, puis recouvert de kaolin. Le visage possède un front immense avec un nez très long, des petits yeux fendus surmonté d’arcades en double arcs de cercles et une bouche plus petite encore. Ces disproportions donnent au masque un caractère monstrueux, en rapport avec le rituel associé qui se déroule de nuit.

Au sein de cette société, il existe une autre catégorie de statuaire très populaire. Les statues-gardiennes de reliquaire Fang sont très prisées par les marchands et les collectionneurs européens dès la fin du XIXe et le début du XXe siècle. Elles valent aujourd’hui des millions d’euros et font partie des archétypes de l’art africain avec les statues Dogon.