Les barbotines, l’art de l’illusion

Avec un charme fou et des prix pour toutes les bourses, de cinquante euros à plusieurs milliers d’euros, les barbotines ne manquent pas d’attraits. Objets de décoration, mais aussi d’art et de collection, elles vous séduiront.

Mais au fait, qu’est-ce donc une barbotine ? Le mot est souvent employé de manière approximative. Les dictionnaires n’en donnent souvent qu’une définition vague. La barbotine est une céramique, coulée ou moulée, en relief, réalisée dans une pâte argileuse à la consistance proche du miel liquide, qui est recouverte d’une glaçure très brillante à base de plomb. Dans l’immense majorité des cas, elle est richement colorée par divers oxydes métalliques, mais il en existe quelques-unes d’une seule teinte. Notez que le terme barbotine est aussi utilisé pour désigner la pâte liquide proprement dite ; celle-ci peut également servir à coller divers éléments d’une composition en relief. Barbotine vient d’ailleurs de barboter, par référence à l’aspect liquide de la matière de base. Habituellement, les historiens de l’art classent les barbotines dans la catégorie “faïences”.

Manufactures de Fives et Lille, Le Garde Champêtre. H. : 21 cm

Parmi les thèmes les plus fréquents, on retrouve les plantes et les animaux, le fameux bestiaire. Souvent, ces derniers étaient moulés d’après nature. Certains céramistes, comme Alfred Renoleau, conservaient lézards, poissons ou serpents dans du formol, afin d’en prendre ultérieurement l’empreinte.

Un plaisir retrouvé

C’est en 1842 que Charles-Jean Avisseau, réussit, en Touraine, à refaire quelque chose dans l’esprit du grand céramiste du seizième siècle, Bernard Palissy (1510 – 1590). Les Anglais désignent encore les barbotines sous le nom de “majolicas”, par référence aux faïences italiennes très colorées des XIVème et XVème siècle qui avait inspiré le même Bernard Palissy. La création de céramique en relief dans le goût de Bernard Palissy perdure jusqu’au début du XVIIème siècle, notamment à Fontainebleau.

Plat, par Léon Bard

C’est donc bien plus tard, au XIXème siècle, en Touraine d’abord, que Charles-Jean Avisseau, Charles-Joseph et Alexandre-Joseph Landais ressuscitent la production de ces céramiques. Ils travaillent dans, ce qu’il est convenu d’appeler, le goût de Bernard Palissy. A Limoges, c’est le talentueux Alfred Renoleau qui s’illustrera dans le genre. C’est à cette époque que naît véritablement ce que nous appelons encore la barbotine. Les formes se diversifient, les sujets s’enrichissent d’un certain romantisme, d’un intérêt pour le naturalisme. Les couleurs se multiplient grâce aux découvertes scientifiques du dix-neuvième siècle… Un peu plus tard, à Vallauris, dans le Midi, la famille Massier (Jérôme, Delphin et Clément) font aussi exploser les couleurs et les formes. Moins connu, Léon Pouplard travailla quant à lui à Malicorne (Sarthe), lieu plus célèbre pour les faïences. Le Nord ne sera pas non plus en reste.

Des artistes inspirés

Bien des artistes de la fin du XIXe siècle vont s’essayer à cet art, influencés par les créations naturalistes du céramiste français Bernard Palissy (1510-1589) célèbre pour ses « rustiques figulines » qui regorgeaient de reptiles et de poissons en relief sur fond de plantes et de coquillages d’un réalisme saisissant. L’Exposition internationale de Londres de 1851, relayée par l’Exposition universelle de Paris en 1855, joue un rôle incitateur très important, redonnant à la céramique un nouvel élan. Salons et jardins d’hiver bourgeois s’emparent de ces « fantaisies végétales ». Les manufactures anglaises de Minton et de Wedgwood font appel à des céramistes français pour des créations s’inspirant des majoliques italiennes, et donnent naissance au style dit anglo-french taste.

Manufactures d’Onnaing. Pichet Le Coq – Vive la Russie (référence à l’alliance avant la Guerre de 1914). H. : 24 cm. Environ 300 euros.

En France, Jean-Charles Avisseau (1796-1861) remet à l’honneur l’œuvre de Bernard Palissy entraînant des artistes comme Léon Brard (1830-1902), Joseph Landais (1800-1883) et Auguste Chauvigné (1829-1904), de l’école de Tours, mais aussi Victor Barbizet (1805-1870), Georges Pull (1810-1889) et Thomas Victor Sergent (1830-1890), de l’école de Paris. Sans oublier le plus célèbre d’entre eux, Alfred Renoleau (1854-1930). Ces « suiveurs de Palissy » ont joué un grand rôle dans l’histoire de la barbotine. Les tons d’émaux se multiplient, toujours plus dégradés, plus vifs. On voit apparaître de grands « complets » composés d’un cache-pot et d’une colonne sur laquelle s’appuient avec élégance une cigogne, un paon ou un flamant rose. Les vases au décor d’iris ou d’orchidées sont d’une délicatesse inouïe, les jardinières prennent la forme d’un criquet… L’imagination se débride !

C’est au Français Ernest Chaplet (1835-1909) que l’on doit en 1871, la technique de la barbotine sur terre cuite qu’il perfectionne dans les ateliers des frères Haviland à Auteuil. Il crée des pièces décoratives en émaux polychromes et rehauts d’or, aux « empâtements » plus ou moins prononcés, dont les couleurs étonnantes sont accentuées par un vernis très brillant. Ce nouveau procédé laissant à l’artiste la plus grande liberté imaginative, donne naissance à toute une production de faïences ornées de motifs en relief, torsadés, aux couleurs nuancées, aux lignes audacieuses, très ouvragées. Les manufactures de Sarreguemines, Choisy-le-Roi, Saint-Clément, Creil et Montereau, dont George Sand appréciait tout particulièrement les services décorés de fraises, excellent dans ce domaine. Cependant, la plus cotée est celle des Massier, à Golfe-Juan et à Vallauris, où une dynastie d’artistes potiers va se distinguer par des pièces d’une qualité exceptionnelle.

Bassin, par Thomas Sergent

Côté décor, c’est tout d’abord le style de Bernard Palissy qui fleurit avec des moulages de poissons, de reptiles, d’escargots… Puis l’Art nouveau s’impose avec une profusion de fleurs, de fruits, de légumes, d’insectes, d’animaux… Les caches-pots deviennent troncs d’arbre. Les pichets se déguisent en animaux de basse-cour ou affichent le visage d’hommes célèbres. Les fleurs se transforment en assiettes. Les oiseaux cachent des jardinières dans leur plumage.

Des services de table spécifiques sont inventés. De Sarreguemines à Choisy, de Lunéville à Longchamp, le service à asperges bénéficie de toutes les faveurs. Des services à artichauts, à huîtres ou à escargots s’inscrivent dans la foulée de ce succès tout comme le compotier et ses assiettes à dessert. En cette fin de siècle, on adore cette touche de fantaisie. Les centres de table, les coupes ou les grands plats décorés de poissons, de crustacés, de fleurs ou de légumes en trompe-l’œil ont davantage un effet décoratif ; parfois, deux trous percés au dos du plat en témoignent. Les barbotines deviennent des pièces somptueuses dont la taille est en rapport avec le prix. Plus communément, on déniche des assiettes à dessert, saucières, soupières en forme de potiron, légumiers ventrus devenus choux-fleurs et quantité de pichets. On se régale !

Quelques centres de production français

Angoulême (Charentes), avec Alfred Renoleau (1854 -1930).

Dèvres (Nord).

Longchamp (Côte d’Or !).

Malicorne, avec Léon Pouplard (1865-1952).

Menton (Alpes-Maritimes).

Onnaing (Nord)

Paris, avec Victor Barbizet (1805-1870) et Georges Pull (1810-1889).

Saint-Amand-les-Eaux (Nord).

Sarreguemines (Moselle).

Tours (Indre et Loir), avec Charles-Jean Avisseau (1795-1861), Edouard Avisseau (1831-1911), Charles-Joseph Landais (1829-1908), Alexandre-Joseph Landais (1860-1912), Auguste-François Chauvigné (1829-1904), Léon Brard (1830-1902)…

Vallauris et Golfe-Juan, avec Clément Massier (1844-1917).

Faux et copies

Seules les barbotines rares, grandes et chères sont copiées (pour des raisons de rentabilité dans le chef des faussaires). Ces pièces de valeur concernent généralement une clientèle avertie, qui a les moyens de se faire conseiller par des experts. Pour le reste, sachez que l’on fabrique toujours de nombreuses barbotines de nos jours. Le risque de confusion avec les anciennes est très réduit.

Les prix

Les premiers prix des barbotines commencent vers 50 euros (et parfois moins). Le cœur du marché se niche plutôt vers 500 euros. On peut déjà acquérir de belles pièces décoratives pour un peu moins de cette somme. Le haut de gamme se situe plutôt entre 1 000 et 1 500 euros. Quelques barbotines peuvent dépasser les 10 000 euros. Dans ces cas, il s’agit de pièces rares et de dimensions exceptionnelles, de plus d’un mètre de haut !

Violette en céramique en forme de vase signé Jérôme Massier (1820-1909), Vallauris, XIXe

Globalement, le prix des barbotines est stable sur les salons, foires, brocantes ou dans les boutiques d’antiquaires. On les trouve nettement moins souvent aux enchères. Voici quelques critères faisant varier les prix :

  • L’état de conservation est très important. Trop d’ébréchures ou d’éclats dévalorisent les barbotines.
  • L’importance de la signature dans la formation du prix est relative, car beaucoup de barbotines ne sont pas signées, sauf celles de Sarreguemines, Choisy-le-Roi ou Massier à Vallauris ! Toutefois avec certains noms, quand l’attribution est possible, même sans signature, elle constitue un plus et permet souvent d’atteindre les 500 euros, voire de dépasser les 1 000 euros pour les pièces très spectaculaires. Il en va ainsi de la famille Massier, de la famille Avisseau, d’Alfred Renoleau (1854-1930), de Pierre-Adrien Dalpayrat (1844-1910), Théodore Deck (1823-1891), Thomas Sergent (1830-1890), Victor Barbizet (1805-1870), Léon Brard (1830-1902), Félix Tardieu (1847-1918)…
  • Certains sujets sont plus appréciés que d’autres. Il en est ainsi des papillons et de certaines fleurs (comme les iris ou les arums).
  • Le côté spectaculaire.
  • En quittant la Belle Époque et en remontant au XVIe siècle, Bernard Palissy (1510-1590) est incontournable. Il a d’ailleurs favorisé l’éclosion de talents que l’on appelle ses suiveurs. Ses productions subsistantes sont muséales, avec des prix bien plus élevés que ceux des barbotines de 1900.

Musées

Tours (37), Musée des Beaux-arts, Palais des Archevêques, 18, place François-Sicard. De très belles pièces sont exposées dans une salle spéciale consacrée à la céramique tourangelle, la salle Avisseau.

Limoges (87), Musée national Adrien-Dubouché, 8bis, place Winston Churchill. Site internet : www.musee-adriendubouche.fr