Un personnage : Napoléon Bonaparte
En proclamant l’Empire en 1804, Napoléon Bonaparte réintroduit l’aristocratie au-devant de la scène. C’est un souverain bâtisseur, qui laisse son empreinte dans tout Paris, et même au-delà en faisant ériger de nombreux monuments à la gloire de la Grande Armée. À l’instar des anciennes résidences royales comme Compiègne ou Fontainebleau, il fait de Versailles une demeure impériale. Ses proches, comme sa mère ou sa sœur, trouvent refuge au Petit et au Grand Trianon. Dans le même temps, il transforme le palais du Louvre en musée.

Alors Premier consul, Napoléon dicte sa loi, mais il délègue aussi à deux architectes. Charles Percier (1764-1838) et Pierre-François Fontaine (1762-1853) sont deux architectes de talent, formés à Rome au goût des antiquités classiques. Ils organisent une politique artistique de grande ampleur qui fait du style Empire une véritable outil de pouvoir. Les meubles Empire qu’imagine Jacques-Louis David d’après des modèles antiques se concrétisent dans le style architectural imposé par Percier et Fontaine. Les fauteuils aux lignes droites, les commodes au tracé rigoureux et les objets teintées de goût pour l’antique décorent alors les salons impériaux.

Naissance d’un style
Le goût grec et le Directoire
Le nouveau régime politique annonce une nouvelle esthétique. Cependant, la rupture avec le passé n’est pas aussi franche que ce que l’on pourrait penser. Ce style se réfère toujours à l’antiquité, poursuivant une démarche amorcée au milieu du XVIIIème siècle. Après les affres du style rocaille, les voyages en Grèce du Grand Tour et la redécouverte des ruines antiques suscitent un regain d’intérêt pour les formes classiques et sobres. Les meubles marquants les débuts du goût « à la grecque » sont géométriques, rigoureux, équilibrés. La recherche d’élégance et de sobriété ne conduit toutefois pas encore à une sècheresse ni à une recherche de grandeur décadente.
Tandis que le passage de l’ancien régime vers le Directe se fait dans la violence, la transition entre le style Louis XVI « à la grecque » et le style Directoire se fait sans heurts. Les productions artistiques explorent encore plus ce retour à l’antique, conférant aux meubles une austérité parfois exagérée. L’attention à la véracité archéologique est telle que « le style étrusque » signe le retour du siège curule de la Rome antique.
Une philosophie de vie néoclassique
La référence à l’Antique est d’autant plus globale qu’elle apparait comme une véritable philosophie de vie. Perdant le côté bucolique pour mieux s’ancrer dans la réalité, les réminiscences antiques s’attardent sur la grandeur de Rome et sa destiné glorieuse. Servant de référence et d’exemple à l’Empire, Rome et l’antiquité méditerranéenne se glissent dans tous les objets du quotidien. Par exemple, l’athénienne est un petit meuble qui reprend la forme d’un trépied antique et qui peut servir de lavabo, de brûle parfum ou encore de jardinière. C’est un meuble mis au point par Martin-Guillaume Biennais vers 1804, et qui connait un grand succès.

L’héroïsme, la majesté, la sévérité et l’ampleur sont les vertus que l’art décoratif se doit d’évoquer. De fait, le style de l’ameublement possède une fonction bien précise. Les meubles empires obéissent à un schéma très strict. Effectivement, les lignes droites agencent rigoureusement la composition géométrique aux divisions régulières. Les éléments architecturaux, comme les colonnes pleines ou les caryatides, servent de support à la structure du meuble, lui donnant un caractère architectural. Les autres éléments du vocabulaire décoratif antique, comme les palmettes, les abeilles ou les aigles, sont souvent réalisés en bronze. Ce sont des motifs qui servent le discours politique de l’Empereur.
Les évolutions du style Empire
Deux phases se distinguent dans l’évolution du style Empire. Dans un premier temps, l’antiquité est regardée avec un œil archéologique. Les sièges en acajou possèdent des pieds en sabre « à l’étrusque » et les dossiers sont en crosse. Ils sont parfois ornés d’incrustations en ébène ou en étain. Les pieds des meubles peuvent se terminer en patte de lion.

Après le sacre de l’Empereur, les lignes se raidissent et s’alourdissent. La volonté de grandeur, qui guide l’ameublement des résidences impériales, contribue à cette évolution. Napoléon passe en effet un nombre considérable de commandes de meubles, de bronzes et de soieries, dans le but de remeubler les palais vidés sous la Révolution. Il n’y a pas de place pour la courbe. Les dossiers des sièges sont droits tandis que les pieds sont en double balustre. Les accotoirs se terminent par des enroulements. L’acajou n’étant plus importé en France en raison de tensions politiques, les artisans se tournent vers des essences locales. Alors oubliée depuis la Révolution, la dorure sur bois est remise au goût du jour pour sublimer le mobilier. Les commodes et les secrétaires adoptent des formes géométriques très simples, tandis que des appliques en bronze doré prennant la forme de motifs antiques ornent les meubles.
Un outil au service du souverain
L’égyptomanie
Au début du XIXème siècle, le registre décoratif est toujours fortement inspiré de l’antiquité. Les campagnes d’Égypte, menées de 1798 à 1801 par Napoléon, marquent les esprits et ouvrent un temps de fascination pour cette civilisation. Dominique Vivant Denon, directeur du Louvre de 1802 à 1815, accompagne le futur Empereur dans cette expédition. Ni théoricien, ni savant, ni historien, ni archéologue, Vivant Denon n’en demeure pas moins estimé par les plus grandes personnalités de son temps, notamment l’Empereur lui-même. Pour preuve, il est nommé à la tête du futur plus grand musée du monde ainsi qu’à plusieurs manufactures, dont celle de Sèvres.

Napoléon souhaite renouer avec la tradition royale des commandes de grands services en céramique. En 1810, il commande à la manufacture de Sèvres sept cabarets de porcelaine. Les formes n’ont rien d’égyptiennes, mais sont au contraire bien ancrées dans la tradition néoclassique. Les formes s’inspirent des vases antiques, tandis que les décors sont une véritable ode à l’Égypte. Les artistes reprennent les planches de gravures que réalise Vivant Denon à l’occasion de la campagne d’Égypte.
Les symboles du sacre
Le sacre impérial, événement unique dans l’histoire de France, est représenté sur le célèbre tableau de Jacques-Louis David. Il rassemble de nombreux symboles qui sont réutilisés dans l’ensemble des créations artistiques de style empire. La création d’armoiries impériales et d’objets symboliques établissent une tradition. Napoléon veut s’inscrire dans une continuité et une légitimité en reprenant des symboles déjà employés par les régimes précédents.

Dans le tableau de David, certains symboles chargés de valeurs morales sont visibles. L’Empereur porte une réplique de la couronne de Charlemagne. Son épée et de son sceptre, eux aussi dits « de Charlemagne » sont en réalité utilisés depuis plusieurs siècles par les Valois puis les Bourbons lors de leurs sacres.
Assurer sa légitimité
À l’image de César, Napoléon apprécie les symboles guerriers comme les casques ou les boucliers. L’aigle fait référence aux étendards portées par les légions romaines. C’est aussi un symbole employé par Charlemagne. Ensuite, la couleur rouge du manteau impérial rappelle la pourpre qu’utilisaient les souverains de l’Empire Byzantin. Par l’assemblage de ces deux symboles, Napoléon s’identifie ainsi comme l’héritier des grands empires qui ont fortement marqué le continent européen.
Après s’être placé dans la continuité des plus grands empires de l’antiquité, il se fait l’hériter des dynasties royales de France. Il remploie le motif des abeilles, qui fait écho aux broches retrouvées dans les tombeaux royaux des Mérovingiens . Il les dispose sur ses armoiries de la même manière que les fleurs de lys des Capétiens. En réutilisant pour son propre sacre la main de la justice qui a sacré des rois Capétiens, Napoléon se place en tant qu’héritier de leur pouvoir. Il veut montrer qu’il est le fondateur d’une « quatrième dynastie », qui suit les trois grandes dynasties royales françaises.
Matériaux et blocus continental
Les matériaux qu’utilisent les artisans sont parfois représentatifs des tensions politiques existantes. Au commencement de l ‘Empire, les ébénistes travaillent beaucoup l’acajou. La structure des meubles mettent en valeur ce bois précieux que le travail de marqueterie ne cache plus. La Compagnie britannique des Indes anglaises depuis les Antilles ramène ce bois exotique en Europe depuis les Antilles. Essence rare et onéreuse, elle est souvent découpée en fines feuilles qui sont plaquées sur les meubles, et parfois utilisée telle quelle.

Toutefois, la donne change après la défaite des armées franco-espagnoles à Trafalgar. Les Anglais détruisent la flotte française et s’emparent de ses colonies. Napoléon reconnaît l’impossibilité de lutter contre les britanniques sur le domaine maritime. Ainsi, il met au point une stratégie pour reconquérir « la mer par la terre ». De fait, il prive le Royaume-Uni de ses alliés en déplaçant le combat sur les domaines financier et commercial, c’est-à-dire en fermant les ports de l’Empire au commerce britannique. Avec ce blocus continental, il espère ainsi provoquer des faillites. Mais de cette manière il prive les ébénistes d’un de leur matériau favori : l’ébène. Ils sont poussés à utiliser des essences locales, comme le noyer, le merisier ou le frêne.

Les pays alliés avec L’Empire sont aussi impactés. Obligés d’acheter leurs produits en France à des prix élevés, et soumis à de lourdes taxes, la plupart d’entre eux ne suivent ces lois qu’à contrecœur. Le royaume de Hollande, dirigé par le propre frère de Napoléon, montre tellement de mauvaise volonté à appliquer les lois impériales que l’Empereur, excédé, annexe finalement ce pays.
Et ensuite?
Si Napoléon chute en 1815, l’esthétique mise au point le long de son règne ne sombre pas avec lui. Les régimes politiques suivants reprennent quelques caractéristiques du style Empire. Louis XVIII conserve les proportions imposantes des meubles, tandis que Napoléon III intègre certains codes néo-classiques dans sa politique artistiques éclectique. Les valeurs martiales, la volonté de grandeur et la sobriété des formes marquent profondément le goût européen. C’est de cette manière que la légende napoléonienne se perpétue tout le long du XIXème siècle.
Aujourd’hui, il est facile d’observer l’ameublement de style Empire. Effectivement, il est bien représenté dans différents musées d’Île de France, comme le Musée des Arts Décoratifs ou le château de Malmaison.