Le Portrait
Faire un portrait, c’est fixer une image et ainsi empêcher qu’elle tombe dans l’oubli. C’est un sentiment profondément humain que de vouloir laisser une trace, s’accrocher à un brin d’éternité. Connaissez-vous cette histoire rapportée par Pline l’Ancien ? Celle d’une jeune fille qui traça le contour de l’ombre de son aimé qui partait en guerre ? Le mythe de Dibutade n’est autre qu’une volonté de fixer l’éternel, de conserver un visage pour toujours. C’est aussi curieusement par ce mythe qu’on date le début de la peinture. Est ce qu’un portrait doit être réaliste ? Qu’est ce qu’on veut montrer de soi ? Le peintre a-t-il quelque chose à dire ? A partir de quand voulait-on être trouvé beau ? Rentrer dans l’histoire du portrait, c’est accepter de se confronter aux questionnements les plus enfouis de notre condition. Mais n’oubliez jamais que le plus beau paradoxe du portrait, c’est de donner l’illusion d’un art solitaire : il y a celui qui peint, celui qui pose et celui qui le contemplera.
I- Les premiers portraits
1- Portraits du Fayoum
Les portraits les plus anciens jamais retrouvés remontent à l’Egypte romaine. Ils furent exécutés entre le Ier et le IVe siècle. Peints à l’encaustique ( liant à base de cire d’abeille) ou à la détrempe, ce sont des portraits funéraires, insérés directement dans les bandelettes au niveau du visage de la momie. Dans cette Egypte antique, la relation à l’au delà est entretenue par des rites funéraires. En faisant ainsi le portrait des défunts , le mort est identifié et la famille peut se perpétrer. Les portraits du Fayoum sont formidables parce qu’ils sont d’un réalisme effarant pour l’époque. Ces individus ne sont pas embellis puisque le but est qu’ils conservent leur visage dans l’eau delà, trait pour trait.


2- l’apparition des attributs: les deux faces du pouvoir!
Déjà, avec les portraits du Fayoum, les chercheurs ont pu découvrir qu’une codification s’était mise en place. L’utilisation de la feuille d’or par exemple marquait directement une classe sociale plus élevée. Les attributs se sont développés pour renforcer l’identification. Les romains avaient une relation privilégiée avec le portrait qui se reflétait directement dans leur culture politique. La frappe des monnaies joua un rôle déterminant dans l’art stylistique du portrait et la propagation de canons. A partir de Jules César, qui développa le fameux “culte de la personnalité”, chaque empereur veillait à ce que son image exprimât sa conception personnelle de la politique, du pouvoir et de la morale.

3- Le Moyen-âge où l’art de se glisser dans les scènes bibliques
On dit souvent que le Moyen-âge abandonne la tradition du portrait antique romain au profit d’une codification universelle. Certes, la notion d’individu est différente. En Orient comme en Occident, le Moyen-âge est profondément religieux et vient de passer par de nombreux questionnements concernant le culte des images. La conception des premiers chrétiens selon laquelle la représentation est interdite ( car pouvant mener à l’idolâtrie) est écartée. La représentation est rendue possible mais règlementée. Les artistes peintres se conforment aux conditions des commanditaires, c’est l’apogée des icônes. Mais les règles sont faites pour être enfreintes. Progressivement, les visages vont s’individualiser, s’humaniser, (tout en conservant leurs attributs) et certains humains vont même réussir à se glisser dans les séquences bibliques réussissant ainsi à faire partie du long récit originel.

Pie II, qui administré la ville de Sienne de 1458 à 1464 est couronné sous la bénédiction de la vierge.
Outre la peinture et l’enluminure religieuses, pour comprendre le portrait au Moyen-âge, le monde du spectacle est un bon exemple. En Angleterre, le théâtre, toujours contrôlé par l’Eglise se fait principalement sous forme de masques. C’est ainsi qu’on comprend la codification “universelle” du Moyen-âge qui peut être interprétée comme une absence d’individualité. En même temps, il fallait que ces portraits parlent à tout le monde et soient facilement identifiables mêmes par les moins savants.

II- La notion d’individu
1- la Renaissance
Le Moyen-âge, dans son image obscurantiste qui lui colle à la peau a pourtant initié les premières recherches sur l’individu, la complexité des émotions et la psychologie. Mais c’est la Renaissance qui en récoltera les fruits. A cette période, deux principes essentiels pour l’histoire de l’art vont émerger: l’intérêt pour l’homme en tant qu’individu à part entière, et la figure de l’artiste qui sort progressivement de son anonymat.

Il serait erroné de penser que la Renaissance rejette tous les principes du Moyen-Âge. Même si la notion d’individu est profondément nouvelle, les portraits restent codifiés. Ils sont longuement exécutés de profil, signe de vertu. Chaque position, chaque geste, chaque attribut est hautement symbolique.
Les échanges réalisés entre les Flandres et l’Italie donnent à l’art du portrait toute sa richesse. Au profil, les Flamands préfèrent les portraits de trois quarts. Mais surtout, Jan Van Eyck popularise la peinture à l’huile qui permet d’apporter une infinité de nuances et une précision presque absolue.

2- La miniature, l’ancêtre des sites de rencontres?
A partir de la fin du XVe siècle se développe un type de portrait particulièrement populaire en Angleterre: la miniature. Les portraits miniatures permettaient de sentir l’être aimé toujours près de soi mais pas que… Henry VIII d’Angleterre ( 1491-1547) qui venait de répudier sa première femme, de faire décapiter la deuxième, et venait de perdre la troisième, cherchait à se remarier. Plusieurs portraits miniatures lui sont alors parvenus. Son grand portraitiste Hans Holbein en réalisa plusieurs dont celui d’Anne de Clèves qui devait être la quatrième épouse du roi. Le roi fut si déçu du physique de la jeune femme que le mariage fut annulé six mois plus tard. Cependant, ce type de portrait intimiste a continué de perdurer, souvent symbole d’adoration secrète. Il trouva une nouvelle popularité au XVIIIe siècle, notamment en France.


3- le XVIIIe siècle: siècle du portrait
En France, le siècle des lumières voit apparaître de nouvelles recherches autour de la raison mais également du bonheur. Rousseau publie Confessions en 1782, exactement la même année que Les Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos. L’heure est aux lettres, à l’intime, à la sensibilité. Les portraits se multiplient et fixent pour toujours une esthétique à la française. Cette ère de réflexion sera porteuse de conséquences majeures:
-D’abord, une réflexion sociale évidente, le portrait se diversifie, alternant entre un art aristocratique et la représentation de scènes paysannes.
-Ensuite, l’intérêt pour l’individu en tant qu’être sensible et doté de pensées apporte une innovation majeure dans l’art du portrait: la représentation des enfants ( en tant qu’enfants, plus comme des adultes au petit corps).
– Enfin, le XVIIIe siècle permet à de nombreuses femmes peintres de s’affirmer en tant que grandes portraitistes.


Au siècle précédent, l’Angleterre avait hébergé de nombreux peintres flamands ( Van Dyck reste le plus célèbre) qui ont réalisés de nombreux portraits aristocratiques. Se faire tirer le portrait en Angleterre était un signe de distinction pouvant évoquer la famille, le rang social ou la réussite personnelle. L’Angleterre inaugure également sa Royal Academy of Arts en 1768, inspirée de l’Académie Royale de Peinture et de Sculpture française (1648). A la tête de cette école se succèdent des enseignants réputés pour leurs talents de portraitistes. Parmi eux, on citera: William Hogarth, Thomas Gainsborough, Allan Ramsay, Joshua Reynolds etc..


III) Autoportrait(s) et figures d’artistes
1- Artistes anciens
Grâce aux merveilleux artistes de la Renaissance italienne, le statut d’artiste s’affirme progressivement, sortant de sa première condition d‘artisan. L’artiste appose désormais sa signature sur ses œuvres et devient porteur d’un discours esthétique. C’est à ce moment là que les autoportraits commencent à se développer encouragés par la diffusion du miroir en verre. Les peintres s’observent et chacun devient sa propre allégorie.

Le Caravage fait partie de ces artistes qui hantent leurs toiles de leur propre figure. En se peignant ainsi parmi des scènes historiques, mythologiques, ou de genre, il confère à sa peinture un plus vaste réalisme et nous permet de nous rapprocher intensément de lui, Caravaggio, sensuel et torturé.
Dans la peinture ancienne, ce qui est particulièrement intéressant, c’est ce dialogue constant entre la recherche d’allégories/d’images universelles et une recherche d’individualité, de distinction de soi. Plusieurs peintres tels que Durer ( se représentant en Christ) ou Rembrandt (se représentant en Zeuxis) joueront avec ces codes, donnant à leur propre personne des traits allégoriques.

Rembrandt est un “auto-portraitiste” avéré. 40 autoportraits sont aujourd’hui a notre connaissance. L’énigmatique Rembrandt oscille souvent entre sa figure d’homme et sa figure de peintre. Ici, l’artiste a 54 ans. Un soin particulier est apporté à l’expression de ses rides et ses cheveux grisonnants.

Tête légèrement inclinée vers la droite, verre précieux tenu avec raffinement, le peintre est représenté ici comme un maître de style qui sélectionne ce qui est beau, ce qui doit être représenté, symbolisé par la faible quantité de liquide.. C’est une conception très classique.

L’artiste se représente ici au travail. Il est en train de réaliser son propre autoportrait. Cet autoportrait est postérieur à son premier, qu’il du modifier à plusieurs reprises.
2) Maîtres modernes
A partir de la fin du XIX e siècle, la figure de l’artiste change. En France, c’est un véritable éclatement de la hiérarchie des genres. Plusieurs détachés de l’Académie choisissent désormais leurs thèmes de peinture. Dans cette ère moderne qu’est le XXe siècle, on remet en cause la technique, les peintres se mettent à expérimenter tant avec la couleur qu’avec la forme. Les autoportraits s’écartent du réalisme. Derrière les limites de notre rétine, se cachent les prouesses des modernistes.

Van Gogh est un autre adepte de l’autoportrait. L’artiste cherchait à montrer sa propre vision et interprétation des choses. En cela peut-on dire que chacune de ses œuvres est un autoportrait. Ici, l’artiste affiche sa conscience des nouvelles théories postimpressionnistes et de la couleur.

Malgré la date de production relativement ancienne, la démarche de Sarah Goodridge est profondément moderne. En se focalisant sur sa poitrine, elle met son travail de miniaturiste au service de la modernité.

Avec l’immense Pablo Picasso, la figure de l’artiste évolue en génie moderne et le nom seul de l’artiste commence même à surpasser ses oeuvres. Juan Gris, que certains appellent le “disciple de Picasso” le représente ici comme allégorie du cubisme, Pablo Picasso en étant l’un des principaux chefs de file.
Faire un portrait, c’est avoir la curiosité de soi. C’est un jeu de regard et d’interprétation. En peinture, se faire représenter implique rapidement d’utiliser des attributs. La Reine Elizabeth Ière se faisait peindre en Vestale pour souligner sa virginité, Napoléon Premier se fit peindre couronné de laurier, symbole romain de l’Empereur Suprême. Le Portrait est donc une véritable possibilité d’expression, un jeu sensible pour les peintres fascinés par la mise en abîme. Jan Van Eyck se représente à travers le miroir des époux Arnolfini, Velázquez se représente parmi les Ménines, au cœur de la famille royale. Aujourd’hui, nous déambulons dans des allées de musées où des tonnes de portraits nous sont révélés, visages fascinants que nous ne connaîtrons jamais. Derrière chaque portrait s’exprime la vision du peintre. Contempler un portrait, c’est posséder ses yeux l’espace de quelques instants.
Bibliographie:
L’Art du Portrait, Andreas Beyer, Editions Citadelles et Mazenod
The Art of the Portrait, Norbert Schneider, Taschen
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