Par Daniel Cagnolati
Avec le recul du nombre de vocations et de pratiquants du catholicisme en France, ces dernières années, bien des objets d’art religieux, des meubles et même des vêtements sont revendus par l’Eglise. Il s’agit souvent de ventes aux enchères avec quelques commissaires-priseurs spécialisés ayant de bons contacts dans le monde catholique.
Parmi ces commissaires-proposant des ventes d’arts sacré, on trouve notamment maître Biget, à Alençon, dans l’Orne ainsi que maître Herbelin, à Chinon, dans l’Indre-et-Loire. Et les résultats sont plutôt bons. Souvent, plus de 90 % des lots trouvent preneur, lors de deux ventes annuelles. Son analyse de la situation se résume en mots précis : « Nous avons eu plus de clients que d’habitude grâce au relais Internet du Diocèse de Paris.» Ainsi, des pièces moyennes se sont envolées.
Une clientèle internationale
Parmi les acheteurs on trouve essentiellement des catholiques fervents et des ecclésiastiques cherchant des objets des XVIIIe et XIXe siècles destinés à l’usage du culte. Parmi cette clientèle, les acheteurs étrangers sont nombreux, surtout les séminaires américains. « Actuellement, les séminaires catholiques ont le vent en poupe aux États-Unis, et leur choix se porte sur des liturgies traditionnelles », analyse maître Biget. « Outre-Atlantique, on veut des objets patinés et des aubes en dentelle ! »

Toutefois, les prêtres attachés au culte romain ne sont pas les seuls à s’équiper en vêtements et ornements liturgiques ; certains des objets de facture plus simple (chasubles, ostensoirs, vases) permettant simplement aux prêtres de réaliser des économies. Le dernier tiers des acheteurs est constitué de collectionneurs spécialisés et de marchands. « Ces amateurs érudits s’intéressent aux objets exceptionnels anciens, des pièces historiques… », relève notre interlocuteur. Ces personnes ne sont pas particulièrement catholiques ou croyantes, mais attirées par l’histoire et l’art.
Des trésors enfouis
Parfois, à l’instar des plus précieux trésors, on débusque des pièces exceptionnelles au milieu d’objets anodins. Maître Biget aime rappeler sa plus incroyable trouvaille… « Dans un tas de vieux cierges qui allaient à la poubelle, j’ai repéré un objet enveloppé dans du papier journal, une modeste boîte en bois renfermant également du papier journal. À l’intérieur se trouvait un reliquaire offert par Anne d’Autriche, épouse de Louis XIII, à sa cousine Mère Marie de l’Incarnation… » Une autre « divine » surprise pour ce professionnel chevronné fut un petit reliquaire médiéval en émail parisien de basse-taille transformé en baiser de paix. Préempté par le musée de Cluny pour 540 000 euros, il y est aujourd’hui exposé.

Une dizaine de ventes d’objets religieux catholiques ont lieu chaque année en France à Alençon (Orne), Chinon (Indre-et-Loire) et dans d’autres régions (Vendée ou Centre ). Depuis une dizaine d’années, alors que les cuivres et les étains ne font plus recette, les objets religieux faits dans ces métaux prennent de la valeur. Comment s’explique ce « miracle » ? « L’orfèvrerie religieuse a doublé en dix ans, confirme Maître Biget, car la clientèle maintient une offre constante. En outre, ce sont souvent de très belles pièces, remarquables par leur facture et en cela supérieures à la majorité des pièces profanes des XVIIIe et XIXe siècles qui ont baissé. Plus personne ne rêve devant une timbale en argent aujourd’hui ! »
Qu’en pense vraiment l’Eglise ?
L’Église ne voit pas toujours ces vacations d’un bon œil. Pourtant, la réalité est, qu’après le concile Vatican II, elle a beaucoup vendu, y compris des objets qui étaient propriété de la commune, s’ils étaient inscrits à l’inventaire de 1905 ou à l’association cultuelle diocésaine, s’ils avaient été achetés après la loi de séparation des Églises et de l’État et de confiscation d’une partie importante des biens mobiliers et immobiliers de l’Eglise catholique par l’Etat français.
Lors de l’envoi de courriers de fidèles courroucés, les évêques eux-mêmes n’étaient guère sévères. C’est tardivement que la Conférence des évêques de France a fini par se prononcer contre cette dispersion, tandis que la Commission pontificale pour le patrimoine culturel de l’Église stipulait en 2006 que « La fermeture de maisons religieuses (…) aboutit à la regrettable dispersion de ce patrimoine sur le marché des antiquités, au détriment d’un précieux héritage ecclésial. »

Depuis une dizaine d’années, grâce aux inventaires des commissions diocésaines, les prêtres et les évêques ont pris conscience de la nécessité de protéger ce patrimoine. Moins pointilleuses avec le droit canon et menacées de fermeture, certaines congrégations ont besoin d’argent et continuent de vendre. Or, si du point de vue civil les biens des congrégations leur appartiennent en propre, elles sont soumises au droit canon qui interdit la vente de reliques et n’autorise le transfert de propriété (à titre gratuit ou onéreux) des objets sacrés qu’entre personnes juridiques ecclésiastiques publiques (paroisses, diocèses, instituts de vie consacrés). Théoriquement donc, de tels objets ne peuvent se retrouver sur le marché. Sauf que si l’on y regarde de plus près, ces vacations sont un moindre mal. Officielles et encadrées, elles permettent d’éviter les échanges « sous le manteau » des objets religieux, pratiques peu reluisantes qui ont été d’actualité.
Face aux ventes peu surveillées sur Internet ou sous le manteau d’objets volés dans les églises, les ventes aux enchères ont au moins le mérite d’être publiques et bien visibles. Mais certains acheteurs cherchent peut-être à appliquer la pensée du théologien Yves de Chartres, se rapprocher de Dieu par la beauté ?
Le commissaire-priseur se confesse
Maître Herbelin, commissaire-priseur à Chinon (Indre-et-Loire), organise trois ventes d’art sacré par an.
– Qu’est-ce qui vous séduit dans l’art sacré ?
– « J’ai découvert ces ventes il y a dix ans grâce à un client qui m’a confié sa collection. La richesse du genre m’a fasciné. C’est une découverte perpétuelle, car l’usage de certains objets de culte est déroutant. Aujourd’hui, nous présentons environ deux-cent-cinquante lots dans chaque vente. Avec beaucoup de travail de recherche en amont. »
– Qui sont vos vendeurs et vos acheteurs ?
– « Nos acheteurs sont en majorité les communautés religieuses. Nous avons ainsi dispersé le fonds de l’Abbaye de Bourgueil. Pour ce qui concerne nos acheteurs, nous avons vu en quelques années croître le nombre d’ecclésiastiques. Au début, nous avions essentiellement des marchands et des collectionneurs, puis le bouche-à-oreille a joué. Actuellement, les hommes d’Église représentent environ 40 % de notre clientèle. Nous avons aussi beaucoup d’acheteurs belges, anglais, espagnols et italiens. Les Italiens sont des fidèles de nos ventes. »
– Les prêtres viennent-ils aussi acheter pour des raisons économiques ?
– « Ils ne s’en cachent pas. Neufs, les objets destinés au culte valent une fortune. Pour le prix d’un calice en métal argenté, ils peuvent acquérir un calice en argent du XIXe siècle. Un argument qui ne laisse pas les ministres du culte indifférents. »

– Que pensez-vous de la question des reliques ?
– « Elle est parfaitement tranchée ! À partir du moment où elle est incorporée dans un objet, elle devient un “bien culturel” dont la vente est autorisée. C’est ce que stipule notre code de déontologie. On peut vendre des reliques catholiques comme on vend des crânes Asmat d’Amazonie ou des têtes de Jivaro. Ce sont des biens culturels, pas de vulgaires morceaux d’os ! »
Le cas des reliques
L’éthique de la vente des reliques est complexe. Si le droit canon l’interdit (canon 1190) et que le droit français interdit le négoce d’éléments du corps humain, historiquement, l’Église a toujours vendu et acheté des reliques, tout en se prononçant contre ce négoce ! Les reliquaires font l’objet d’une fascination. On se rappellera que la Sainte Couronne d’épines, sauvé par un pompier après l’incendie de Notre-Dame, avait été achetée par le roi Louis IX pour une somme énorme au XIIIe siècle.
Musées
Ils sont nombreux en ce domaine. En voici quelques-uns.
Musée de la Visitation : Le Musée des Sœurs de la Visitation est l’un des plus beau en matière d’art sacré.Hôtel Demoret. Espace Patrimoine, 83, rue d´Allier, Moulins (03) www.musee-visitation.eu
Musée national du Moyen Âge – Musée de Cluny, 28 rue du Sommerard, Paris 5e www.musee-moyenage.fr
Musée départemental d’art religieux : Archives Départementales de l’Orne, 8, avenue de Basingstoke, Alençon (61)