La Peinture de Paysage
Il est difficile de considérer la peinture de paysage comme un genre unique. La peinture religieuse, la nature morte ou les scènes de genre sont facilement reconnaissables parce qu’elles portent des thèmes immuables. La peinture religieuse dépeint des sujets religieux, la nature morte se compose de plateaux de fruits, de gibier, de fleurs etc… Et on appelle peinture de genre les scènes de vie anecdotiques ou familières. Si l’on suit cette logique, la peinture de paysage serait, comme l’évoque son titre, une représentation de la nature. Eh bien non! Du moins, pas directement. Il faudra attendre le XIXe siècle pour qu’un paysage peint soit vraiment un paysage: une nature sauvage, sans hommes. Sans hommes? Oui! Car voilà, la peinture de paysage, indissociable de l’homme, est le résultat direct de notre conception de la nature à travers les époques. A la croisée des découvertes scientifiques, des bouleversements sociaux, des diktats esthétiques se trouve la peinture de paysage. Révélée par les Flamands , antiquisée par les Italiens, bouleversée par les Britanniques, harmonisée par les Chinois, immortalisée par les Français… La peinture de paysage est un courant voyageur qui se niche peu à peu dans les esprits pour atteindre des sommets aux XIXe et aux XXe siècles.
I- Les fondations de la peinture de paysage
La plupart des civilisations fondatrices s’expliquent la création du monde par des manifestations divines. La nature, issue de leur création est vue à travers le spectre de la divinité…
Les débuts de la peinture de paysage occidentale
Bien qu’on date la naissance de la peinture de paysage dès l’antiquité égyptienne, celle-ci n’y apparaît qu’à un stade embryonnaire. Chez les égyptiens, les éléments de nature sont principalement symboliques et leur représentation est par conséquent très codifiée. La nature étant, par définition irrégulière, il était peu probable qu’elle trouve une liberté propre dans cette forme de peinture.
Une nuance est à noter pour l’Empire Romain, empire connu pour son goût de la terre et de l’expansion. Plusieurs fresques de villa romaines dévoilent une végétation parfois luxuriante, mais la peinture de paysage garde essentiellement une fonction décorative. D’ailleurs, Ovide et ses Métamorphoses sont une source essentielle pour comprendre la conception de la nature dès l’Antiquité. La nature est considérée comme un lieu de résidence privilégié pour les dieux. Ce qui explique la fonction décorative du paysage qui est là pour mettre en valeur la divinité.

La fonction décorative du paysage de Rubens et Brueghel rappelle clairement les textes de leurs prédécesseurs latins. La nature enchanteresse prend la forme de voûtes d’architecture à l’arrondi parfait, donnant une noblesse directe aux créatures divines. Chaque élément naturel est l’attribut ou le symbole d’un ou d’une divinité. Par exemple, les coquillages symbolisent Achelous, dieu de la Rivière.
Vitruve: le bâtisseur de la peinture de paysage occidentale
Vitruve est le premier architecte Romain dont les textes nous soient parvenus. Son traité « De Architectura », théorise l’utilisation de la nature dans les arts (peinture, architecture, théâtre etc.) Vitruve parle de « Topia » dérivé de “topiarus” jardinier. Topia désigne un jardin, soit un lieu naturel transformé par l’homme selon sa fantaisie. Dans son traité, il incite à sélectionner les éléments naturels (ceux qui sont beaux et qui servent à la compréhension de la scène). Son approche de la nature profondément architecturée aura un impact colossal dans l’évolution de la peinture de paysage en occident.

Cette illustration exprime parfaitement le point de vue de l’architecte latin. Les hommes prélèvent dans la nature les éléments qui leur serviront à bâtir une structure esthétiquement parfaite et ordonnée.
La Chine à la recherche d’une harmonie esthétique
En Chine, La peinture de paysage est indissociablement liée à la poésie et la littérature. Ensemble, elles forment les trois disciplines du pinceau. La technique est différente qu’en occident mais le concept est le même: prélever dans la nature le beau, et reconstruire une harmonie paysagère…
Le ShanShui est un type de peinture ancestral, maîtrisé par les peintres lettrés qui devient dominant sous la dynastie des Yuan ( 1279-1368). Shan veut dire montagne et Shui : eau, mis bout à bout ils forment le mot paysage. Le Shanshui est un art d’assemblage, c’est à dire que les artistes vont exécuter de manière séparées les composantes de leur peinture, puis les regrouper, pour arriver à une harmonie idéale et ainsi former le futur ShanShui. Le ShanShui est inévitablement lié à l’homme puisqu’il s’accompagne d’une réflexion poétique. C’est un paysage de méditation et de contemplation supposé provoquer l’apaisement des esprits et ouvrir la voie à la sagesse. L’homme, à travers cette nature idéale, s’engage dans un parcours initiatique, sinueux comme la montagne. De nombreux ShanShui sont également destinés à glorifier leur empereur, la montagne prend ici un symbole de solidité politique.

La différence entre un ShanShui et la peinture de paysage occidentale réside dans la perspective. Le ShanShui est en fait une superposition de plans appelés lointains contrairement à la peinture occidentale qui, dès la Renaissance, utilise la fameuse perspective linéaire ( règle du point de fuite). Le ShanShui étant incroyablement symbolique, son point de fuite se trouverait au sommet de la montagne, point culminant de cette quête initiatique.
Le Moyen-Âge: quand l’or recouvre les paysages
Le Moyen-âge est connu pour ses fonds d’or hérités de la tradition byzantine. La peinture médiévale étant principalement religieuse et très codifiée, le fond d’or est associé au divin. Dieu est considéré comme étant à l’origine de toutes choses, la nature n’a pas besoin d’être peinte puisque Dieu est nature. On peut néanmoins soulever une volonté d’évolution avec certaines fresques de Giotto, primitif italien qui cherche à décorer ses fonds d’une manière plus terrestre et annonce ainsi les bouleversements de la Renaissance.

Ce retable est exécuté par un primitif napolitain grand admirateur de Giotto. Même si le paysage prend ici une valeur symbolique, on observe déjà une volonté de délaisser le fond d’or au profit d’une exploration paysagère. Ce tableau est très intéressant parce qu’il nous montre parfaitement cette transition.
II-Les Flandres ou la Révélation de la peinture de paysage
La Renaissance fragmente les croyances de toutes parts. Les frontières s’écartent. On découvre que la terre fait partie d’un système solaire. On découvre de nouvelles terres. La conception de la nature s’en voit grandement modifiée. C’est dans les Flandres que l’on trouve ce nouvel intérêt pour le paysage… Comment expliquer une telle avancée de la part des flamands?
La réforme protestante
C’est l’émergence du protestantisme dans les Flandres qui pousse au développement de la peinture paysagère. Calvin condamnant la peinture sainte comme de l’idolâtrie, on privilégie désormais une relation plus discrète entre le fidèle et Dieu. C’est ainsi que les peintres des Flandres se mettent à explorer de nouvelles thématiques pour vendre leurs toiles. La peinture de paysage va dès lors se répandre et atteindre un grand succès.
La réforme humaniste
la période du XVe siècle tire son inspiration d’Érasme et se veut propice aux réflexions sur la nature humaine. C’est là toute la force de la Renaissance qui admet son ignorance et va chercher de nouvelles explications, plus scientifiques à ses croyances. Tous ces questionnements vont faciliter l’utilisation du paysage comme allégories des réflexions humaines.
Avec les grandes expéditions menées à cette époque, la soif de terres inexplorées lance un nouvel intérêt pour la nature et les paysages. Les horizons sont plus vastes, les esprits aussi et cela se ressent sur les toiles.
C’est également à cette même période que l’on découvre des lois mathématiques qui vont révolutionner la proportion dans la peinture. Mises en application, ces règles peuvent aussi expliquer une plus grande facilité dans l’art de peindre la nature.


Même si les sujets religieux restent les acteurs principaux de ce triptyque, la place accordée au paysage est impressionnante. Bien évidemment, c’est un paysage imaginé de toutes pièces. C’est d’ailleurs Patinier qui poussera à la popularisation dudit « Paysage-monde » c’est à dire une immensité naturelle dans laquelle se déroule une scène religieuse rendue anecdotique par sa taille. C’est aussi au même moment (dernier tiers du XVe siècle) que se répand la production de globes terrestres, cette curiosité sur le monde et sur le lointain pourrait expliquer de la part des flamands cette volonté « d’englober » le plus de paysage possible.
Le mystère du peintre des petits paysages
Peintre et graveur non identifié à ce jour, Il est connu pour ses gravures de paysages en tous genres. Autrefois identifié comme Brueghel car, imprimé par le grand Jérôme Cock, il reste à ce jour l’inconnu parmi les peintres mais le maitre parmi les paysages.

L’âge d’or néerlandais du XVIIe siècle
Au dix-septième siècle, les Provinces Unies, libérées du joug espagnol vont traverser une envolée tant sur le plan économique et social que politique et artistique. leur activité commerciale (qui avait déjà fait leur réputation) va prendre un nouvel essor et de nouvelles classes sociales vont s’imposer. Une bourgeoisie et une riche paysannerie sont à l’origine dit-on du marché de l’art moderne qui fera fleurir l’activité des peintres. Mais surtout, ces nouveaux commanditaires auront des centres d’intérêts directement liés à leur réussite sociale ce qui fera triompher les peintures de genre et de paysage sur les peintures d’Histoire jusqu’alors indétrônables. (restons cependant modérés quant à notre propos, car la peinture d’Histoire conservera une place majoritaire! ) La demande va être telle, que les peintres constitueront des « stocks » de peintures classées par genre pour satisfaire ces nouveaux clients. Il serait cependant trompeur de penser que ces paysages étaient effectués sur le motif (en pleine nature), les artistes flamands les constituaient en atelier selon leur fantaisie.

Van Ruisdael immense paysagiste hollandais peint ce paysage à dix-huit ans. Ses paysages faisant preuve d’une grande sensibilité serviront souvent d’exemple aux romantiques. En témoigne cette remarque d’Eugène Fromentin:
“De tous les peintres hollandais, Ruysdaël est celui qui ressemble le plus noblement à son pays. Il en a l’ampleur, la tristesse, la placidité un peu morne, le charme monotone et tranquille.“
La cartographie
Le XVIIe siècle pour les Flandres, c’est aussi l’âge d’or de la cartographie. Ce n’est pas anodin si Vermeer peint “Le Géographe” ou “l’Officier et la Jeune Fille”. Une profusion de mappemondes, de globes et d’atlas se répandent, facilités par l’imprimerie. Cartographier implique l’observation de territoires pour se repérer de manière précise dans ce monde aux frontières encore floues. Hors, l’observation des territoires sous-entend l’observation de la nature (étude topographique). La cartographie a donc joué un rôle dans l’intérêt pour les paysages.

La carte de l’Europe à l’arrière plan couplée au regard de la jeune femme par la fenêtre pourrait sous-entendre qu’on s’intéresse désormais à ce qu’il se passe au dehors.

III- L’Italie: des ruines à la reconstruction
C’est en Italie, précisément avec Antoine Carrache, qu’on définit la peinture de paysage comme genre à part entière au XVIe siècle. Les Frères Carrache vont notamment s’appuyer sur le principe défendu par Vitruve qui préconisait de corriger par la peinture les petits défauts de la nature . C’est ainsi que se développa une réelle esthétique paysagère, thème si cher aux italiens dans leur inlassable quête du beau .
Le Paysage Idéal
Des enseignements de Vitruve découle le fameux « paysage idéal ». un paysage embelli selon les codes esthétiques du XVIe siècle. Un exemple frappant pourrait être la popularité du thème de l’Arcadie. L’Arcadie est une terre légendaire de la Grèce antique, célébrée dès la Renaissance pour l’harmonie de ses paysages et le bon vivre de ses bergers. Ce thème sera si populaire qu’une Académie de l’Arcadie se créera à Rome en 1690. Rappelons nous que Topia était utilisé par Vitruve pour désigner un lieu aux proportions idéales et harmonieuses. En 1516, c’est l’humaniste Thomas More qui invente le mot « Utopia » sorte de paradis imaginaire révélateur de cette nouvelle attirance pour la terre idéale. Il y avait donc un lien étroit entre le pays et le paysage (milieu naturel).

Une parenthèse française en pleine Italie
C’est cependant le français Nicolas Poussin (qui a tout de même passé la majeure partie de sa vie à Rome) qui reste connu pour ses « Bergers d’Arcadie ». Lui et le peintre Claude Lorrain ont largement contribué à développer l’art du paysage. En effet, particulièrement à cette époque du XVII e siècle qui a vu la montée d’un académisme puissant, la hiérarchie des peintures étaient plus que jamais en vigueur. Au sommet : la peinture d’histoire et ses scènes bibliques et mythologiques.
Jusqu’à présent, le paysage était un support, un agrément qui valorisait la peinture d’histoire. Poussin et Lorrain ont donc fait preuve d’une grande ingéniosité. Même si le titre du tableau continue d’évoquer des thèmes « nobles », on assiste à une véritable inversion. C’est le thème mythologique qui sert désormais de prétexte à l’exploration paysagère.
Poussin et Lorrain sont un bon exemple d’artistes qui voyagent. Déjà instigué pendant la Renaissance, les voyages et l’intérêt pour la culture étrangère vont se développer. L’Italie sera une fois de plus mise en lumière. Entre ruines romaines et urbanisation, de nouveaux sous-genres attenants à la peinture de paysage vont se développer.

Ici Poussin s’amuse même à confondre Diane avec les nuages. Qui est le plus mis en valeur? Diane ou les nuages? Le goût de Poussin pour les paysages se reflètera énormément dans ses dernières peintures: Les Quatres Saisons.

Les Vedute
Puisque les analogies entre les Flandres et l’Italie sont indispensables lorsqu’on parle de peinture de paysage, permettons nous une légère évocation des Flandres. Vermeer dévoile sa « Vue de Delft » en 1661. Le « plus beau tableau du monde » selon Proust n’est autre qu’un magnifique exemple de veduta. Pour ce faire, Vermeer aurait possiblement utilisé une « camera obscura », un instrument optique qui reçoit la lumière émise par des objets pour reformer ces objets en position inversée. (On plaçait dedans une lentille convexe pour rétablir le sens des objets).
L’utilisation de la camera obscura sera largement reprise par le peintre vénitien Canaletto au XVIIIe siècle. Les XVIIe et XVIIIe siècles sont marqués par des voyages aristocratiques d’éducation et de découverte intitulés: «Grand Tour». Les destinations étaient majoritairement : La France, les Pays-Bas, l’Allemagne, la Suisse et évidemment : l’Italie. C’est ainsi que les voyageurs découvrent les ruines qui parcourent les paysages italiens. Cette période considérée comme le point de départ de l’histoire du tourisme aura un effet majeur sur la promotion des vedute et de la peinture de paysage en général.
De nombreux aristocrates vont vouloir rapporter des « souvenirs » de leur voyage. C’est là toute la modernité de ces vedute car, cette-fois-ci, c’est le paysage lui-même auquel on s’intéresse. Le peintre Canaletto et les autres védutistes feront fortune en commercialisant leurs vues de Venise.



Des paysages en ruines : Capricci ou vedute ideate ! Le triomphe des peintures architecturales
« Sacrés coteaux, et vous saintes ruines,
Qui le seul nom de Rome retenez,
Vieux monuments, qui encor soutenez L’honneur poudreux de tant d’âmes divines, »
Joachim Du Bellay, Les Antiquités de Rome, 1558
Nouvelle exploration du paysage idéal, le capriccio est la représentation d’un paysage imaginaire. Francisé en « caprice » il s’oppose à la représentation fidèle du vedute et est tout droit issu de la fantaisie du peintre. Depuis la Renaissance, on observe une grande redécouverte des ruines romaines . Ce qui va déclencher une véritable fascination esthétique et jeter les bases de la future architecture classique. De cet attrait pour les vestiges va émerger une peinture architecturale. Les sujets mythologiques étant toujours au sommet de la pyramide infernale des peintures, c’est une belle astuce consciente ou inconsciente que « d’antiquiser » le paysage pour le rendre plus noble.


IV- L’Angleterre: une percée essentielle dans la peinture de paysage
La fin du XVIIIème et le XIXe siècle se fondent sur une série d’expérimentations et de bouleversements rapides. Ils seront traversés par de nombreux mouvements aussi bien littéraires que politiques, artistiques que scientifiques etc.
L’Angleterre est le premier pays européen à avoir enclenché sa révolution industrielle. Peut-être sa relative stabilité politique lui a-t-elle permis de prendre une telle avance ! L’expérimentation qui frappe ce siècle dans tous les domaines entraîne une exploration fondamentale dans la peinture.
L’Aquarelle ou “l’Eau des Peintres”
Jusqu’ici, l’Angleterre n’avait pour ainsi dire pas vraiment pris part à notre épopée de la peinture de paysage. En bonne observatrice, elle s’imprégna des peintures italiennes et françaises (Grand Tour) mais également et surtout flamandes. Monarchie désormais constitutionnelle, Les rois et reines britanniques commissionnent de nombreux grands peintres Flamands et Germaniques d’effectuer leur portrait ce qui aura pour rôle de diffuser les œuvres de ces mêmes peintres. Hors, nous avons vu que la peinture de paysage s’était déjà lovée quelques siècles plus tôt dans le cœur des flamands. N’oublions pas que, l’Angleterre n’est plus catholique depuis 1534. Tout comme les flamands, les anglais ont développé de nouveaux thèmes de peinture, plus en adéquation avec leurs croyances.
Durer réalisait des aquarelles de paysages, et l’Angleterre n’est-elle pas considérée comme l’inventeur de l’aquarelle « moderne » ? la diffusion de la peinture à l’aquarelle jouera un rôle considérable dans l’histoire de la peinture. Sans elle, l’Angleterre n’aurait peut-être pas eu son monstre sacré…
William Turner
La virtuosité de Turner en a fait un génie de la peinture. Inspiré par Claude Lorrain et Nicolas Poussin, Turner rejoint parfaitement notre propos car c’est un artiste qui voyage. Plus que ça, c’est un grand paysagiste. Il travaillera dès l’âge de quatorze ans pour l’architecte Thomas Hardwick et effectuera de nombreux dessins et croquis de paysage ce qui lui donnera le goût de poursuivre dans cette voix. Bien que la biographie de Turner soit lacunaire, on le définit comme un grand randonneur qui partait muni de son carnet de croquis et trouvait dans la nature toute son inspiration. Cette attitude d’artiste solitaire se reflète dans un grand courant artistique de la même époque : le Romantisme. Avant toutes choses, il est important de clarifier notre emploi de tous ces termes généraux qui sont apparus de plus en plus nombreux au XIXe siècle : Romantisme, Réalisme, Naturalisme etc. Tous ces termes nous serviront de facilité d’explications mais ne doivent en aucun cas enfermer un artiste ni lui retirer sa singularité.
Le Romantisme donc, apparaît initialement en Angleterre et en Allemagne en réaction aux normes strictes et mesurées du classicisme. Ce mouvement va se diffuser rapidement et aura un succès considérable dans toute l’Europe et même en Amérique du Sud. Les livres vont désormais s’emplir de personnages contradictoires aux passions déchaînées. Ces personnages souvent solitaires et incompris trouveront justement leur compréhension dans la nature qui, par ses forces cycliques et ses accès changeants représente directement les sentiments éprouvés par les romantiques.
Le romantisme allume donc un projecteur sur l’immensité naturelle, mais la peinture de paysage reste inévitablement attachée à la condition humaine. Le Voyageur contemplant une mer de nuages de Friedrich en est presque un exemple métonymique. En effet, c’est le voyageur qui contemple la nature et pas autrement. Si le titre avait été « La mer de nuages au voyageur » la peinture de paysage aurait pris une tournure différente, mais le Romantisme ne peut se détacher de la condition humaine qui est au cœur de ses préoccupations.
Pour revenir à Turner, on le décrit souvent comme un romantique en raison de l’extrême sensibilité de ses peintures et ses couleurs poétiques et déchaînées. Turner est le premier à mélanger aquarelle et peinture à l’huile donnant un rendu embué, flouté qu’on interprète souvent comme annonciateur de l’impressionnisme.

J.M.W Turner, Saltash, 1811, huile sur toile Metropolitan Museum of Art

J.M.W Turner, Soir de déluge, 1843, huile sur toile, Washington National Gallery of Art
Il est intéressant ici d’observer la liberté progressive que prend Turner qui se détache des formes réalistes inspirées par Lorrain et Poussin pour arriver à ce triomphe de substances et de textures qui lui est si particulier. L’expérimentation qui frappe le XIXe siècle se ressent jusque dans les palettes. C’est d’ailleurs assez révélateur de l’opposition scientifique qui traversait l’Europe au XIX e siècle. Entre la science du tangible et du matériel et la science s’intéressant aux formes immatérielles et abstraites. Turner s’apparentant de plus en plus à l’abstrait en fin de carrière, c’est incontestablement Constable qui, en parallèle, s’affiche comme le maître du paysage réaliste.
John Constable
Profondément inspiré par son prédécesseur paysagiste Thomas Gainsborough, Constable réussit à hisser la peinture de paysage à une noblesse encore jamais atteinte. Il sera très influent notamment en France (Delacroix l’admirera beaucoup). Constable est aussi représentatif d’une génération de la révolution industrielle qui voit ses paysages changer rapidement et s’urbaniser, et qui trouve dans la nature un refuge à ce vacarme industriel. Constable réalise de nombreuses esquisses en pleine nature avant de peindre. C’est un peintre qui prône la beauté pure du paysage c’est à dire à son état originel. Cette conception aura un impact conséquent sur la peinture de paysage. Nous sommes désormais loin des paysages idéalisés de Vitruve et Pline l’Ancien, la beauté se trouve directement « sous n’importe quelle haie et dans n’importe quelle prairie ».

Thomas Gainsborough, Paysage de Montagne, années 1780, craie noire et blanche estompées sur papier bleu-gris

John Constable, 1825, la Cathédrale de Salisbury, huile sur toile, Metropolitan Museum of Art
Parenthèse américaine
Dans la jeune nation américaine se forme le désir se se détacher des conventions picturales européennes et de créer un style à part entière. Dans un pays aussi vaste aux terres encore en friche, les paysages s’affirment comme sujet de prédilection.

Thomas Cole, Le Méandre, 1836, huile sur toile, Metropolitan Museum of Art
On voit bien ici les éléments qui préfigurent la pensée nord-américaine. Un immense paysage encore en friche mêlé à la douceur d’un ciel presque divin offrant à la scène une lumière dorée. Aller à la conquête de terres inconnues sous l’égide directe du Ciel (Dieu).
Les guerres qui marquent le XIXe siècle interrompent le phénomène du « Grand Tour » ce qui poussera les anglais à voyager directement dans leurs campagnes . C’est ainsi que nous sont parvenues les plus belles toiles de paysages anglais, écossais et nord irlandais. L’Angleterre peut enfin se vanter d’avoir eu son heure de gloire. Inspirée par la progression anglaise, la France la suivra de peu, sa révolution industrielle se déclare quelques temps après, sa révolution picturale aussi…
V-La France et son « autre révolution »
La France depuis le XVIIIe s et encore plus au début du XIX siècle est frappée par un académisme indétrônable. Des peintres illustres comme Jacques Louis- David ou Thomas Couture forment aux Beaux Arts les futures générations de peintres. La peinture française à cette époque se définit par ses règles. C’est l’apothéose de la peinture d’histoire, de peintures militaires glorificatrices, de portraits de grandes figures de la noblesse. Le paysage est complètement laissé à l’abandon.

Jacques Louis David, La Mort de Socrate, 1787, huile sur toile, Metropolitan Museum of Art
L’Ecole de Barbizon : « Les détachés de l’Académie »
A l’époque où le Salon Officiel décide du verdict de chaque peinture, la côte du paysage est très basse. Certes, en 1816, le prix du « paysage historique » fut ajouté par l’Académie Française au prix de Rome, mais le paysage s’inscrivait encore dans une vision architecturée ou idéalisée.
Théodore Rousseau (1812-1867), réalise de nombreuses esquisses en pleine nature et propose des paysages réalistes en opposition complète avec les paysages « académiques » jusqu’alors tolérés. Cela lui vaudra de nombreux rejets du Salon. Pourtant, plusieurs facteurs vont finir par projeter le paysage au devant de la scène.
En 1824, le Salon de Paris expose de nombreuses toiles de maîtres paysagistes anglais notamment John Constable. Ce Salon peut avoir apporté un début d’ouverture d’esprit quant à la beauté et l’appréciation des espaces naturels.
De plus, depuis le XIXe siècle, la course à l’industrialisation est lancée dans toute l’Europe. Les productions massives des usines enfument les villes. Plusieurs artistes (dont Théodore Rousseau) voudront fuir ce brouhaha industriel . Ils trouveront justement leur refuge dans la forêt de Fontainebleau ou le paisible petit village de Barbizon. D’autant que le développement des lignes de chemins de fer permettait à de plus en plus d’artistes de venir facilement s’y ressourcer.
L’École de Barbizon n’est pas à proprement parler une école. C’est d’abord une communauté d’artistes qui s’est retrouvée tout au long du XIXe siècle à partager des valeurs communes et qui ont fait avancer les codes instaurés par l’académie. Ils se retrouvaient à l’Auberge de Ganne pour refaire le monde de la peinture et partager leurs découvertes et leur enthousiasme. L’auberge de Ganne est aujourd’hui un musée absolument dédié aux peintres de Barbizon. Le terme fut ensuite élargi à tous les artistes qui ont trouvé en la forêt de Fontainebleau un sujet d’inspiration.
L’invention et la mise en service du tube de gouache en 1841 va également faciliter la peinture en plein air en la rendant tout simplement possible et permettra une créativité nouvelle que sauront capter les impressionnistes. Peut-être fallait-il l’industrialisation pour redécouvrir la nature ? Le courant des peintres de Barbizon pave la voie aux futurs impressionnistes. C’est une véritable fracture qui se crée dans la peinture académique française et qui apporte aux peintres une plus grande liberté dans le choix de leurs thèmes.

Théodore Rousseau, L’ Orée du Bois à Monts-Girard,1852/54, huile sur bois, Metropolitan Museum of Art
Quelques artistes incontournables de “l’Ecole de Barbizon”

Jean François Millet, Meules de foin, Automne 1874, huile sur toile, Metropolitan Museum of Art
Millet, qui mettra toute son ardeur dans la peinture paysanne
est tenu comme exemple de nombreux peintres. C’est le peintre préféré de Van Gogh.

Camille Corot, Le Batelier,1865, huile sur toile, Metropolitan Museum of Art
Le Batelier de Corot a la poésie venteuse de sa fin de carrière. Corot s’est formé auprès de Valenciennes, peintre de paysages néoclassiques. Il inspira considérablement les impressionnistes.
L’impressionnisme enfin ! Une bouffée d’air frais dans la peinture de paysage
Monet, Degas, Sisley, Renoir, Cézanne, ces noms sacrés qui résonnent encore aujourd’hui comme des maîtres incontestés de la peinture. Pourquoi l’impressionnisme est-il devenu le mouvement pictural le plus célèbre ? Animés par le même désir de rupture, ces artistes ont su tirer profit de leur statut de marginaux. Le Salon des Refusés autorisé en 1863 par l’empereur Napoléon III permet justement à des artistes comme Manet ou Pissarro de faire voir leurs œuvres rejetées par le Salon de l’Académie des Beaux-Arts. Soutenus par le marchand d’art visionnaire Durand Ruel et le photographe Nadar, ils sauront se créer une place incontestable dès les années 1880.
L’apparition de la photographie a d’ailleurs eu un impact considérable dans l’histoire de la peinture. Sa popularisation arrive en même temps que l’impressionnisme et libère les peintres et leur toiles de cette préoccupation coupable qu’était la recherche de réalisme. La photographie remplissant parfaitement cet office, la peinture peut dès lors s’adonner à de nouvelles explorations que ne peut pas faire la photographie.
L’impressionnisme brise les contours trop « finis » du néoclassicisme et du réalisme. A l’heure où la science découvre que le monde est en réalité composé d’une infinité de petites particules en vibration, les impressionnistes introduisent une nouvelle sensibilité dans leurs toiles. C’est une peinture de l’instant, aussi fugace soit-il. Il ne s’agit plus de peindre la réalité telle que nos yeux la voient, non, la science venait de prouver la capacité limitée de notre acuité visuelle. Il s’agit d’arriver à une harmonie de composition qui donne une impression. Impression, ce terme qui se voulait dépréciateur de la part du critique Louis Leroy a en réalité marqué à tout jamais le monde de la peinture.
L’impressionnisme vient chercher ce qui se cache derrière le réel. Renoir l’exprime parfaitement dans cette phrase restée célèbre : « Un matin, l’un de nous manquant de noir se servit de bleu : l’impressionnisme était né ». L’impressionnisme est donc à la fois une esthétique distincte et un mouvement.
En quoi est-ce fondamental pour la peinture de paysage ? Parce qu’en plus de révolutionner la manière de peindre, les peintres impressionnistes vont bousculer d’autres codes. Ils réaliseront d’immenses tableaux de paysage sur des formats d’ordinaire réalisés pour des genres « plus nobles ». C’est ainsi que le paysage gagnera ses lettres de noblesse.

Renoir est un maître incontesté de la lumière. Ses paysages et ses figures ont la brillance pâle de la nacre.
La nature s’adapte ici au mouvement des cheveux de la jeune fille et nous donne une grande impression de fraîcheur. Les impressionnistes procédant par “touches”, c’est sûrement avec Renoir qu’on peut parler de « grain de peau”. Ici, plus de combat entre la nature et le sujet, les deux se complètent pour former l’Impression.

Camille Pissarro a la minutie d’une dentellière. Pourquoi y a t- il autant de lumière dans les tableaux impressionnistes ? C’est qu’ils maîtrisent les ombres à la perfection. Leurs touches sont aussi folles et harmonieuses que la nature. Les impressionnistes observent les paysages avec un œil nouveau, un œil libre.
Nous nous arrêterons aux impressionnistes parce que c’est à ce moment précis que la peinture de paysage a pleinement été libérée et a atteint le sommet des genres. Évidemment, le XXe siècle, siècle d’accentuation est fascinant dans le domaine du paysage. Quant au XXIe siècle, siècle de déclinaisons et d’impertinences, le paysage reste toujours un thème de prédilection. Cependant, ces deux siècles mériteraient un article complet et une approche différente.
Conclusion
Celui qui veut relater l’histoire de la peinture de paysage devra comprendre la logique qui se cache derrière. Un genre qui serpente entre les règles, les interdictions et les préceptes des académies. Patience, voilà le fin mot qui conclue l’histoire du paysage. Beauté de l’ombre, la nature s’immisce peu à peu dans les toiles, instiguée par les peintres qui ne peuvent renier son potentiel esthétique.
Si l’histoire de la peinture de paysage est aussi riche, c’est qu’elle est indissociable des premières préoccupations humaines : l’homme est inséparable de son environnement. Au fur et à mesure des compréhensions, la nature des peintres change de style, devient plus folle. Ce n’est qu’au XIXe siècle qu’on reconnaît officiellement sa toute puissance dans la peinture. Officieusement, et si l’on s’intéresse aux peintres en profondeur, on ressent souvent que la nature les attire, les appelle. N’oublions pas que jusqu’à très tard, les commanditaires réclamaient des peintures d’Histoire ou des portraits. Nos peintres, s’ils voulaient survivre n’avaient donc souvent guère le choix. Mais, certaines toiles ne trompent pas. C’est le cas de cet inclassable…

El Greco, Vue de Tolède,1597-1599, huile sur toile, Metropolitan Museum of Art
Parfois considéré comme un expressionniste avant l’heure, El Greco donne à ce chef d’œuvre le même regard orageux qu’ont ordinairement ses figures. Le paysage semble torturé. Tolède se tord sous un ciel bleuté, électrique. Cette œuvre reste inclassable tant dans son temps que dans son genre.
Bibliographie
Paysages Entre Nature et Histoire : Pierre Wat, Pérégrinations
L’Art des Paysages: Nils Buttner, Citadelles et Mazenod
Fables du Paysage Flamand, Alain Tapié, Michel Weemans, Somogy Editions d’Art
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