La fascinante histoire de la médecine

S’il est bien une collection qui ne laisse pas indifférent, c’est celle des objets médicaux. Nous avons rencontré le plus grand collectionneur français sur le sujet, le docteur Gaboriau. Il nous ouvre les portes d’un monde extraordinaire et d’une histoire passionnante.

Rendez-vous chez le docteur Gaboriau dans son bureau transformé en musée. L’endroit respire la sérénité. « Je suis médecin et collectionneur dans l’âme depuis l’enfance », nous confie cet anesthésiste à la retraite. « J’ai collectionné les timbres, les cartes postales, les minéraux et bien d’autres choses. À la fin de mes études de médecine, je me suis intéressé aux objets médicaux anciens ». Aujourd’hui, notre hôte possède une collection de 4 500 pièces allant de l’Antiquité mésopotamienne à 1900, soit quarante siècles d’histoire, sur tous les continents ! Il accorde des prêts pour des expositions.

Véritable squelette humain de la Faculté de médecine. XIXe siècle. Ce type « d’objet » est désormais interdit à la vente.

« Je me défends d’avoir un musée des horreurs », déclare le docteur Gaboriau avec calme et douceur. Sa démarche revêt, entre autres choses, une dimension esthétique. « J’aime les beaux objets avec du bronze, de l’ivoire, du buis, de l’étain, de la nacre, du vermeil… Autrefois, l’on ajoutait une dimension esthétique à tous les objets, qu’ils soient médicaux ou non ». Et notre spécialiste de se demander pourquoi. « Je me suis demandé si ce n’était pas pour se donner plus de respectabilité, un peu comme font aujourd’hui les garagistes des marques automobiles de luxe ».

La collection Gaboriau comprend des pièces rares et curieuses, comme un gorgeret cystotome de Lecat datant de 1750 et servant à aller chercher les calculs dans la vessie, un utérus en papier mâché représentant un fœtus de trois mois, une canne à système avec l’équipement du médecin de campagne, un bocal à sangsues avec des perchoirs pour ces charmantes bestioles, une boule à dorer les pilules, une prothèse dentaire en ivoire d’hippopotame (qui fonctionne parfaitement), un clystère à baptiser durant un accouchement compliqué (au cas où)…

« Il faut que les objets soient propres »…

Chineur expérimenté, que ce soit en boutique ou en salle des ventes, notre anesthésiste connaît bien le marché. « Beaucoup d’objets médicaux de collection ont été dévalués par une trop grande abondance sur le marché ces dernières années. Il y a eu de nombreuses sorties de greniers sur les sites Internet. » Comme ce domaine appartient aussi au monde des antiquités et des collections, notre spécialiste relève que « la baisse d’intérêt pour l’enseignement de l’histoire a entraîné un moins grand intérêt pour toutes les collections ». De même que pour d’autres pièces bien différentes, ici, l’état de conservation est important. « Il faut que les objets soient propres, entiers ». Contrairement à ce que l’on pourrait penser, « il est encore relativement facile de trouver des objets grecs et romains ». En revanche, « nous n’avons quasiment plus rien sur le Moyen Âge ». Quant à la Renaissance, « il en reste quelques-uns difficiles à trouver ».

Ensemble pour retirer des hématomes post-traumatiques dans la tête : la tréphine (poignée avec la fraise pour percer la boîte crânienne), scie de Gigli (chaînette à passer entre les trous effectués avec la tréphine) et l’élévateur (pour enlever la découpe effectuée). Collection du Dr Gaboriau.

Passionné par les objets, le docteur Gaboriau n’est cependant pas bibliophile, « car ce serait ruineux ». Certes, il possède divers ouvrages sur l’histoire de la médecine, « mais pour dater, pour documenter mes acquisitions », précise-t-il, bien qu’en tant que professionnel de la santé expérimenté, il peut les identifier. Face à n’importe laquelle de ses trouvailles, il peut nous délivrer un commentaire instructif. Tenant une scie à trépaner, il nous explique que les hommes préhistoriques pratiquaient déjà des trépanations qui étaient souvent réalisées à des fins « magiques ». Et de noter : « on estime que la moitié des personnes trépanées s’en sortait ! »

Historien, médecin et gardien du patrimoine

Cette remarquable collection est disséquée et replacée dans un contexte historique de l’évolution de la médecine. Nous sommes très loin d’une simple accumulation « pathologique » d’objets. Écoutons attentivement notre guide qui est aussi, par la force des choses, un historien ! « Il y a eu deux tournants dans l’histoire de la médecine. Le premier se situe à la Renaissance avec les progrès de la physiologie et de l’anatomie. Le second se situe au milieu du XIXe siècle avec les travaux, notamment de Pasteur, sur l’hygiène et la stérilisation. Avant cette époque, il y avait peu d’opérations, sauf des amputations, des trépanations et des cataractes, car elles étaient très dangereuses à cause des risques postopératoires d’infection. Le XIXe siècle a permis d’opérer sereinement avec l’asepsie (désinfection, stérilisation…). Le taux de mortalité consécutif aux opérations est passé de 80 ou 90 % à 10 ou 20 %. »

Fauteuil d’accouchement à transformations réalisé par Dupont, à Paris, vers 1870.

« Cette collection nous interpelle quant à la bravoure de nos prédécesseurs, même si leurs notions médicales et leur arsenal de diagnostics n’étaient pas les nôtres », commente le médecin. Évidemment, comme souvent lorsqu’un collectionneur a réuni durant sa vie un ensemble d’un grand intérêt historique, se pose la question de la transmission. Sur ce point, le docteur Gaboriau a une idée précise… « Quand il m’arrivera de disparaître, je souhaite que ma collection soit dispersée aux enchères, avec un bon expert, pour enrichir celles d’autres collectionneurs ». Un passage de témoin, en toute sérénité !

Lire

Outils de la santé et médecine d’autrefois, Par le Dr Guy Gaboriau, Éditions de la Reinette, Le Mans.

L’ouvrage, qui mériterait d’être réédité, ne se trouve plus que chez les bouquinistes ou sur des sites Internet d’occasions. Il constitue un précieux témoignage sur l’histoire de la médecine, sur un patrimoine.

Les principaux musées de médecine

Musée de l’histoire de la médecine, 12, rue de l’École de médecine, Paris 6e, Tél. : 01 76 53 16 93

Musée Anatomique, Institut d’Anatomie Normale – Hospices Civils, 1 place de l’Hôpital, Strasbourg (67)

Le Musée Testut Latarjet

Musée des sciences médicales et de la santé, 819, route du Mas Rillier, Rillieux-la-Pape (69, Lyon)

Musée Flaubert et de l’histoire de la médecine, 51, rue de Lecat, Rouen (76)

Les écorchés du Docteur Auzoux

Le docteur Louis Auzoux (1797-1880) est très connu dans le monde pour avoir fabriqué de nombreux modèles anatomiques à destination de l’enseignement de la médecine humaine et vétérinaire. Son entreprise, installée dans l’Eure, a poursuivi ses activités jusqu’à la fin du XXe siècle. Elle appliquait une ingénieuse technique de fabrication à partir de ce que l’on nomme le papier mâché. L’un des atouts de ses réalisations était la possibilité de démonter les modèles sur plusieurs niveaux, pour faciliter l’étude de l’anatomie. Aujourd’hui, les grands écorchés peuvent valoir plus de 10 000 euros aux enchères, et même davantage pour les très grands, en bon état.

Écorché d’un corps humain du docteur Auzoux. XIXe siècle.

Quelques prix

Les prix dépendent de la rareté, de l’ancienneté, de l’importance historique, de l’état de conservation et de fonctionnement, mais aussi de l’esthétique et des dimensions. Ils oscillent entre 100 euros et 50 000 euros (pour de très beaux microscopes du XVIIIe siècle sur des catalogues américains).

300 €. Une balance de laboratoire de la première moitié du XXe siècle.

400 à 1 500 euros. Un microscope du XIXe siècle ou du début du XXe siècle.

500 €. Une très belle seringue ouvragée avec sa boîte, du XIXe siècle.

700 €. Une scie de chirurgien du XVIIIe siècle.

2 000 euros, au moins, pour un microscope du XVIIIe siècle ou un beau du XIXe siècle.

1 500 € à 5 000 euros. Un microscope antérieur à 1800 ou un grand modèle exceptionnel du XIXe siècle ou du début du XXe siècle.

4 000 €. Un coffret de chirurgie, début du XXe siècle.

1 800 € à 2 000 €. Une trousse de chirurgie de la seconde moitié du XIXe siècle.

2 000 € à 3 000 €. Une trousse de vétérinaire de la seconde moitié du XIXe siècle.

1 000 €. Un nécessaire d’anthropométrie pour les mesures des criminels par la police, selon Alphonse Bertillon.

1 000 € à 25 000 €. Un écorché d’homme ou d’animal du docteur Auzoux, selon la taille, la complexité et l’état de conservation. Mais pour 1 000 euros, il ne s’agira que d’un membre.