berthe morisot Psyché (miroir france)
MORISOT, Berthe_El espejo psique 1876_686 (1977.87)

Fabrication et évolution du miroir en Europe

Le premier miroir : une histoire d’égo …

Si la production en série des miroirs anciens est tardive, le thème du miroir apparait pourtant très tôt en Europe, notamment à travers le célèbre mythe de Narcisse. Dans Les Métamorphoses d’Ovide, Écho est une nymphe très bavarde. Elle importune Héra, qui tente comme toujours de surprendre les infidélités de son époux Zeus. Mais Écho, par sa nature, fait fuir Zeus alors en plein acte coupable. Héra condamne ainsi la nymphe à ne plus pouvoir s’exprimer et l’autorise seulement à répéter ce qu’elle vient d’entendre.

Echo et Narcisse, John Williams Waterhouse, 1903, conservé à la Walker Art Gallery.
Echo et Narcisse, John Williams Waterhouse, 1903, conservé à la Walker Art Gallery.

Plus tard, Écho tombe folle amoureuse de Narcisse, fils du dieu-fleuve Céphise et de la nymphe Liriopé. À sa naissance, sa mère apprend du devin Tirésias qu’il vivrait longtemps, pourvu qu’il ne vît jamais son propre visage. Cependant, arrivé à l’âge adulte, il s’attire la colère des dieux en repoussant l’amour de la nymphe Écho. Elle continue cependant de le suivre en répétant inlassablement la fin des phrases de Narcisse. Elle finit par s’isoler au fond des bois et meurt de désespoir.

Cependant, la déesse Némésis venge le sort de la triste nymphe. Poussé par la soif, Narcisse s’approche du bord d’un ruisseau, et la déesse le fait tomber désespérément amoureux de son propre reflet. Le devin l’avait prédit, cette action est fatale à Narcisse. Cependant, les versions concernant son trépas diffèrent. Dans un premier cas, son image ne peut pas lui rendre son amour. Il patiente donc, languissant, et commence à dépérir pour enfin se transformer en fleur et faner. Selon une autre version, c’est pour se consoler de la mort de sa sœur jumelle adorée que Narcisse passait son temps à se contempler dans l’eau, son propre visage lui rappelant les traits de sa défunte sœur.

Antiquité et premiers essais

Les premiers miroirs fabriqués sont en pierre polie. L’obsidienne est un matériau de choix : c’est un verre volcanique nature. Les plus anciens exemples se trouvent en Anatolie et sont datés d’environ 6000 av. J.-C. Ensuite, la surface réfléchissante du métal poli a été rapidement privilégié. Il est possible de trouver des miroirs en cuivre poli dans la région mésopotamienne à partir de 4000 av. J.-C. et dans l’Égypte ancienne aux environs de 3000 ans av. J.-C. Du côté de la Chine, des miroirs en bronze poli sont fabriqués à partir de 2000 ans av. J.-C.

Dans le monde romain, les miroirs sont exécutés en alliant deux métaux : le cuivre et l’étain. Malheureusement, l’oxydation de ces métaux est rapide. Pour contrer cela, une éponge et une petite pierre ponce accompagnent les miroirs portatifs afin de les nettoyer quand le besoin se fait.

Les premiers exemples de miroirs en verre datent du IIIème siècle de notre ère et se trouvent essentiellement en Égypte, en Asie mineure, en Germanie et en Gaule. L’avantage de ce matériau reste son inaliénabilité. Il ne s’oxyde pas, contrairement au miroir en métal poli. Constitué d’une plaque de verre placée sur une fine feuille de métal, les miroirs en verre sont au départ de très petite taille : ils ne dépassent pas les 1cm de diamètre et leur qualité est plutôt médiocre.

Se mirer au Moyen Âge et à la Renaissance

Dans l’Europe du Moyen Age, les miroirs sont contenus dans des petites boites constituées de doubles couvercles se vissant l’un sur l’autre. Appelés “valves de miroirs”, ces objets sont ornées de scènes issues de la littérature courtoise et font l’objet de cadeaux entre amants. Les thèmes récurrents sont notamment le don du cœur et les jeux d’échecs. En effet, ce jeu est une métaphore courante de l’amour courtois, car il est codé de manière précise, par opposition aux jeux de dés, symbole de la débauche et du hasard. Le Louvre Abu Dhabi conserve une valve de miroir illustrant deux amants chassant le faucon, un autre thème courtois.

miroir ivoire France 
© Marie-Lan Nguyen / Wikimedia Commons
Valve de miroir au jeu d’échec, ivoire sculpté, circa 1300, conservé au Musée du Louvre.
© Marie-Lan Nguyen / Wikimedia Commons

Dès le XVème siècle, Venise est très réputée pour sa production de miroirs. En effet, une nouvelle méthode est mise au point en recouvrant la plaque de verre d’un amalgame d’étain et de mercure. Les maitres-verriers de l’île de Murano gardent bien leur secret de fabrication pendant un temps. Ils exportent leur production à travers toute l’Europe. Les premiers miroirs italiens sont entourés d’un cadre constitué de simples baguettes en bois. Au fur et à mesure, les ornementations du répertoire décoratif Gothique puis Renaissance apparaissent. Colonnettes, frontons, personnages mythologiques, perles, et feuilles d’acanthe envahissent l’espace. Ensuite, le bois est complété de divers matériaux comme le bronze et des pierres précieuses, par exemple l’agate.

Les manufactures en France

Le XVIIème est le siècle des manufactures. Tapisserie, céramique, verre, tout est mis sous contrôle royal. Colbert, ministre de Louis XIV, souhaite rendre la France autonome vis-à-vis de la production artistique, afin de satisfaire la demande grandissante de produits de luxe. La fabrique de miroirs n’y échappe pas, et les maîtres-verriers vénitiens sont invités en France, moyennant des compensations très avantageuses, pour partager leurs savoirs. Ainsi, la Manufacture royale de glaces et de miroirs, futur Saint-Gobain, est créée en 1665 et peut rivaliser avec les plus beaux miroirs vénitiens. De surcroît, les importations de miroirs depuis Venise sont interdites en 1672. Les 357 miroirs de la Galerie des Glaces de Versailles sont un sacré pied de nez de Colbert à la Sérénissime.

Finalement, durant les dernières années du règne du roi Soleil, la Manufacture royale de glaces de miroirs exporte dans toute l’Europe l’équivalent de 300 000 à 400 000 livres or par an. Le monopole vénitien n’est plus, il est remplacé par le monopole français.

Quand les styles se reflètent

Le miroir, comme tout autre partie de l’ameublement français, suit l’évolution des styles en vigueur. C’est un objet de grand luxe. En effet, au XVIème siècle, un miroir peut se vendre bien plus cher qu’un tableau de Raphaël, car le matériau est couteux et la maitrise parfaite de la technique est particulièrement complexe.

Sous Louis XIV, le cadre est richement sculpté et recouvert d’une dorure. Un grand nombre de miroirs sont réalisés pour l’ensemble des demeures royales, notamment la galerie des glaces de Versailles ou bien les salles d’apparat de différents châteaux : Marly, Chambord ou encore Fontainebleau. Les miroirs servent la politique de Louis XIV, ce « roi soleil » qui souhaite faire rayonner le royaume de France sur l’Europe toute entière.

Les miroirs Louis XV suivent les codes rocaille et, avec un peu de retard, les codes des techniques d’ébénisterie d’André-Charles Boulle. Plusieurs bois précieux sont assemblés avec des pièces en laiton, nacre ou écailles de tortue. Les ornementations rustiques du rocaille, comme les concrétions, les chantournements et les éléments naturels se multiplient.

miroir de mariage Louis XVI France vendu
Miroir de mariage, époque Louis XVI, vendu sur Antikeo.

Dans la deuxième partie du XVIIIème siècle, toute l’Europe se lasse des décors massifs et des cadres dorés. Les ornementations des miroirs Louis XVI se veulent plus légères et des influences extérieures se font sentir. Les oeuvres de l’ornemaniste français Daniel Marot (1660-1718) résonnent dans plusieurs pays d’Europe, notamment en Angleterre.

À la veille du XIXème siècle, le répertoire néo-classique est de rigueur. Les cadres des miroirs sont couverts de motifs à l’antique, comme par exemple des caryatides et des palmettes. L’impératrice Joséphine commande un ensemble de glaces décorées à la manière antique, dans la pure ordonnance du style Empire.

Le tournant XIXème

À partir du milieu du XIXème siècle, la forme du miroir imite les styles précédents, dans la mouvance de l’esprit éclectique. Les ornements évoluent et sont désormais fabriqués en plâtre et stuc doré produits en série et non plus sculptés. En Europe, la Révolution Industrielle démocratise l’usage du miroir. Néanmoins Venise conserve sa tradition de miroirs imposants composés de plusieurs glaces en verre.

Miroir en bois doré, époque Louis Philippe (1830-1848), France, Europe, en vente sur Antikeo.
Miroir en bois doré, époque Louis Philippe (1830-1848), en vente sur Antikeo.

L’invention du miroir argenté en verre est attribuée au chimiste allemand Justus von Liebig en 1835. L’amalgame d’étain et de mercure étant toxique, il le remplace par une fine couche d’argent posée sur le verre . Ce processus d’argenture permet la fabrication en masse des miroirs et a rendu leur prix beaucoup plus abordable. Le miroir s’apprête à devenir un objet populaire.

Auparavant, dans les cultures rurales, le miroir a longtemps été un objet sans utilité vitale. Il relevait par conséquent du luxe propre aux classes aisées. Jusqu’à la fin du XIXème siècle, le paysan n’en possède pas et n’en fait usage que les rares fois où il va chez coiffeur. S’il est aisé, son épouse peut également se mirer à l’occasion de certaines emplettes. Toutefois, ces miroirs restent de taille réduite et ne permettent pas de se voir de la tête aux pieds.

Le miroir au XXème siècle

Les miroirs permettent d’avoir une idée de la manière dont les autres nous perçoivent. Son usage quotidien va de pair avec l’accentuation de la préoccupation de l’image renvoyée et de la montée de l’individualisme. Le miroir est aussi utilisé pour le contrôle des soins cosmétiques du visage, particulièrement du maquillage. Intégré aussi intimement aux mœurs, la diffusion du miroir ne peut que s’accélérer. Les individus suivent les variations de la mode et le reflet influence les silhouettes. Cette idée coïncide avec l’avènement des études en psychologie. Maurice Merleau-Ponty l’affirme en 1964 : ” Le propre du visible est d’être superficie d’une profondeur inépuisable “. Le miroir est une porte, permettant à l’humain de se connaître sous toutes ses faces.

Le XXème siècle est celui des avants gardes artistiques et de l’innovation esthétique. L’Art Nouveau au tout début siècle fait apparaître un véritable style original, détaché des influences passées. De fait, les influences chinoises et japonaises se font encore plus ressentir. Le bois est sculpté en lignes souples et organiques, comme des tiges de fleurs, de la même manière que le métal.

Miroir, France, style Art Nouveau, début XXème siècle.
Miroir, style Art Nouveau, début XXème siècle.

Au final, les miroirs en pied sont devenus un élément standard de la chambre à coucher, avant d’être placés une ou deux décennies plus tard dans la salle de bains. Le beau est rapproché de l’utile. Les miroirs produits à partir des années 20 bousculent alors les conceptions préétablies. Effectivement, de nouvelles formes naissent, accordant le fonctionnel à l’esthétique. L’exemple le plus significatif sont les miroirs Bauhaus et Art Déco. Épurés, qui sont fabriqués avec des matériaux industriels.

Et maintenant?

Finalement, la fabrication de miroirs revêt de nos jours une dimension plus scientifique que technique. Cet objet de tous les jours est produit par dépôt électrolytique d’une couche réfléchissante d’aluminium sur une plaque de verre plus ou moins épaisse, qui sert de support et de protection. Une couche de cuivre ou de plomb est ajoutée afin de rendre le miroir opaque : c’est ce qu’on appelle le “tain”. Les miroirs sans tain sont ceux à travers lesquels on peut voir sans être vu, comme dans les salles d’interrogatoires.

Symbolique par excellence, le miroir est un attribut de divinités ou une métaphore de la porte. Mais il est aussi associé à la vérité . De nombreux artistes et cinéastes contemporains reprennent cette qualité attribuée au miroir. Blanche Neige et le Miroir Magique de la méchante reine ou bien le Miroir du Risèd dans Harry Potter, cet objet du quotidien reflète bien plus que notre image.


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