Les marines, ces toiles représentant la mer, les bateaux, les ports, connaissent le succès depuis plusieurs années. Ce marché peu spéculatif est régulièrement ascendant. Parmi les peintres ayant représenté la mer et les bateaux, les Peintres officiels de la Marine occupent une place particulière…
« Avec les Peintres de la Marine, les bateaux flottent ! », lance Yves Bouger, galeriste à Granville, dans La Manche. « Il y a peu d’erreurs sur leurs toiles. On ne trouve guère de drapeaux placés dans le sens contraire du vent. Les Peintres de la Marine sont notamment choisis et jugés par leurs pairs. C’est une institution qui a encore son importance aujourd’hui », estime-t-il.

Dans le domaine des tableaux de Marine, les Peintres de la Marine ne doivent pas être confondus avec les peintres de marines, en général. La première expression a un sens bien précis. Elle désigne les artistes reconnus officiellement par le Ministère français des Armées. Cependant, durant leur carrière, ils ne représentent pas que des sujets militaires.
Les Peintres de la Marine peuvent être aussi sculpteurs, photographes ou graveurs, notamment. Ainsi, Jean Lemonnier (né en 1950) est un sculpteur apprécié pour ses représentations d’oiseaux marins. Ils sont sélectionnés par le jury du salon du Musée national de la Marine (ce salon est organisé tous les deux ou trois ans). Leurs noms sont ensuite proposés au ministre des Armées, pour nomination. Ils ne sont pas rémunérés par l’État, mais bénéficient du droit de peindre dans les ports militaires et sur les navires de guerre. Ils ne sont pas des militaires, mais ont rang d’officier. Ils portent un uniforme, mais sans galons. On reconnaît leurs peintures à une petite ancre apposée à côté de leur signature et parfois au verso de leur toile. « Cela dit, il existe de merveilleux peintres de marines qui n’ont pas appartenu au corps des Peintres officiels de la Marine », poursuit Yves Bouger.

L’origine de ce corps est fort ancienne. Bien qu’il y ait un débat, on estime que c’est le cardinal de Richelieu qui l’aurait sinon créé, du moins initié, notamment pour rendre compte de son fameux siège de La Rochelle, alors place forte protestante. Après la Révolution et la Restauration, l’institution est formalisée par le roi Louis-Philippe dès son accession au trône en 1830. On parlera désormais de Peintres de la Marine.
Vers un âge d’or
Le nombre de titulaires augmentera doucement au XIXe siècle, passant de quelques unités à plusieurs dizaines vers 1900. Au cours du XXe siècle, le statut et les conditions d’admission seront modifiés à plusieurs reprises. Actuellement, c’est le décret du 2 avril 1981 qui règle la matière. On distingue les peintres agréés pour trois ans au maximum et les peintres titulaires (nommés après plus de trois ans). Les peintres agréés ne sont pas plus de vingt (quinze en 2020). Les peintres titulaires ne sont pas limités en nombre.
« L’âge d’or du genre se situe entre 1890 et 1940 », détaille pour nous le galeriste de Granville. « À cette époque, la plupart des Peintres de la Marine étaient aussi des illustrateurs. Ils travaillaient notamment à faire des affiches pour les compagnies de navigation. Ils nous faisaient faire le tour du monde en rêve. C’était aussi l’âge d’or des paquebots. Ainsi, par exemple, Marin Marie avait des liens professionnels avec le paquebot Normandie. »

Des artistes célèbres sont rattachés aux Peintres de la Marine, à commencer par Horace Vernet, mais pour une période encore informelle quant au statut. Plus près de nous, on trouve de grandes figures de l’histoire de l’art : Paul Signac, Félix Ziem, Maxime Maufra, Albert Marquet, André Hambourg, Yann Arthus-Bertrand, sans oublier le bien nommé Marin Marie… Dans leur cas, leur célébrité submerge leur cote de Peintre de la Marine. D’où des prix élevés dépassant le cadre du genre maritime. « Pour ses marines, Signac s’est beaucoup inspiré de Louis Faudacq, l’illustrateur », commente notre spécialiste, non sans une pointe de critique dans la voix.
Un marché qui se tient bien
« Pour moi », poursuit Yves Bouger, « les figures majeures des Peintres de la Marine sur le marché actuel datent du XXe siècle : Albert Brénet, Marin Marie et Roger Chapelet. Si Brénet a une cote un peu moins élevée, elle est due à l’abondance de l’offre ; il a peint abondamment jusqu’à un âge très avancé. » On rappellera que Brénet est également très connu des amateurs d’automobiles anciennes et d’histoire de l’aviation, car il fut aussi un illustrateur de renom dans ces domaines.
Pour investir, le marchand et expert ajoute le nom de « Jean-Philippe Paguenaud ». Quant aux plus anciens, « ils sont moins demandés, sauf Hippolyte Garneray, car ils sont surtout dans les musées ». Pour se faire plaisir sans dépenser trop d’argent, Yves Bouger conseille « une aquarelle ou une gouache de Robert Yan ou de Fernand Herbo ».
Plus généralement, Yves Bouger considère que « le marché actuel est variable, mais se tient bien dans son ensemble ». Comme souvent en peinture et particulièrement sur ce type de marché « certains artistes sont tombés aux oubliettes, car leur œuvre a été dispersée et personne ne s’en est occupé. » Sans vouloir polémiquer sur la fabrication ou l’entretien d’une cote, on ne perdra pas de vue que ces pratiques existent et ne sont pas nécessairement condamnables.

La relative bonne santé des toiles des peintres de marines et de celles des Peintres de la Marine repose sur « une clientèle composée non seulement d’amateurs de peinture, quelle qu’elle soit, mais aussi d’amoureux de la mer et des bateaux ». « Le dynamisme des écoles bretonnes de peinture a renforcé le marché des peintres de marines ; il y a une passerelle entre les deux genres », tient-il à ajouter. « Des artistes comme Herbo (un Normand natif d’Honfleur) ou Mathurin Méheut (le célèbre Breton) ont contribué à construire cette passerelle. » Même si Mathurin Méheut est peut-être davantage connu pour être un chantre de la Bretagne. Et aujourd’hui, alors que le corps des Peintres de la Marine existe toujours ? « Du côté des contemporains, je retiendrais notamment Marie Detrée et Nicolas Vial », nous déclare Yves Bouger. Entre la mer et la peinture, notre cœur balance.
ENCADRÉS
Les Prix
– Moins de 1 000 euros. Pour une jolie aquarelle ou gouache d’un artiste pas trop célèbre.
– Entre 1 000 et 3 000 euros. Pour une huile sur toile.
– Au-delà de 3 000 euros. Pour une œuvre dont le nom de l’artiste compte. Pourtant, comme le dit Yves Bouger : « Le nom ne doit pas faire oublier le talent. »
– On mettra de côté, les peintres qui sont célèbres au-delà des sujets maritimes, comme Signac ou Marquet. Ils se situent dans une autre catégorie de prix.
Quelques peintres de la marine
Les ancêtres :
Jean-Baptiste de La Rose (1612-1687).
Joseph Vernet (1714-1789). On lui doit une remarquable série sur les ports français. Ses œuvres, devenues très rares sur le marché, atteignent des centaines de milliers d’euros, voire plus d’un million.
Louis-Nicolas Van Blarenberghe (1716-1794).
Nicolas Ozanne (1728-1811).
Louis-Philippe Crépin (1772-1851).
Louis Garneray (1783-1857).
Quelques artistes officiels :
Théodore Gudin (1802-1880). C’est le premier peintre ayant détenu officiellement le titre de Peintre de la marine. Il est notamment apprécié pour ses représentations de naufrages et de batailles navales. Ses plus belles œuvres figurent dans les musées. Si quelques toiles se situent en dessous de 5 000 euros, la plupart s’évaluent en dizaines de milliers d’euros.
Henriette Gudin (1825-1876). C’est la fille du précédent. Elle est moins cotée que son père, mais ses marines se chiffrent quand même en milliers d’euros.
Eugène Le Poittevin (1806-1870).
Léon Morel-Fatio (1810-1871).
Félix Ziem (1821-1911). Le célèbre peintre marseillais, connu aussi pour ses vues de Venise. Ses toiles se vendent des dizaines de milliers d’euros, voire davantage.
Pierre Bompard (1890-1962). C’est également un orientaliste de renom.
Maxime Maufra (1861-1918). Peintre de genre, il a représenté la mer, mais ce n’était pas son unique désir… Il est aussi très demandé pour ses vues de la Bretagne.
Paul Signac (1863-1935). Le maître du pointillisme possède une réputation mondiale.
Albert Marquet (1875-1947). Une star du marché de l’art actuel.
Fernand Lantoine (1876-1956).
Henri Alphonse Barnoin (1882-1940), né Barnouin.
Jim Sévellec (1897-1971).
Philippe Dauchez (1900-1984).
Robert Yan (1901-1994).
Marin-Marie (1901-1987). Navigateur aux côtés du commandant Charcot, il fut un aquarelliste talentueux. Sa cote a connu une belle progression, notamment pour ses gouaches.
Albert Brénet (1903-2004).
André Hambourg (1909-1999). Il est également connu comme peintre de la Normandie. De nombreuses toiles à lui sont conservées au musée Les Franciscaines, de Deauville.
Mathurin Méheut (1882-1958). Il est aussi célèbre comme dessinateur, céramiste et peintre de la Bretagne.
Guy Arnoux (1886-1951).
Fernand Herbo (1905-1995).
François Baboulet (1914-2010). Autour de 2 500 euros.
Roger Montané (1916-2002). Entre 500 et 1 000 euros.
Léon Gambier (1917-2007). Autour de 600 euros. Peu présent sur le marché.
Claude Schürr (1921-2014). Entre 1 000 et 2 000 euros. Ses marines sont plus cotées que ses œuvres « terrestres ».
Marc Monkowicki (1929-2010). Entre 500 et 1 500 euros.
Jean-Jacques Morvan (1928-2005). Autour de 1 500 euros.
Paul Ambille (1930-2010). Entre 300 et 500 euros.
Jean Pierre Le Bras (1931-2017). Vers 1 000 euros.
André Bourrié (né en 1936). Souvent moins de 1 000 euros.
Quelques contemporains :
Ronan Olier, Patrick Camus, Titouan Lamazou (Antoine Lamazou, de son nom d’origine, est aussi un navigateur célèbre), Yann Arthus-Bertrand (le fameux photographe), Marie Detrée, Jean Lemonnier (sculpteur), Hélène Legrand, Nicolas Vial, etc.
Et les officiers devenus peintres…
À l’inverse des Peintres de la Marine, des hommes, qui furent officier de Marine avant d’être artiste, ont, parallèlement à leur carrière, exercé le métier de peintre.
Théodore Fisquet (1813-1890). Cet officier de marine toulonnais a représenté de nombreux pays dans le monde.
Louis-Gabriel Viaux (1862-1943). Bourguignon d’origine, ce photographe et aquarelliste de talent termina sa carrière comme commandant de cuirassé.
Dans les airs, sur terre, et sous la mer aussi
Même s’ils sont moins connus, les Peintres de l’Armée de l’air et les Peintres de l’Armée de terre existent aussi. À noter qu’il existe aussi des peintures de sous-marins. Brénet en a réalisé.
Lire
Dictionnaire des peintres français de la mer et de la Marine
Par Jean-Noël Marchand
L’ouvrage n’est plus disponible qu’en occasion, mais c’est un outil précieux pour le chineur.
Carnets d’escale
Par Farid Abdelouahab, Isabelle Le Toquin et Nicolas Texier.
Éditions Chasse Marée et Service historique de la Défense, Département de la marine, 2005.
Ce très bel ouvrage est abondamment illustré par une sélection des nombreuses aquarelles et photos réalisées par l’officier de marine Louis-Gabriel Viaux tout autour du monde. Le livre rend hommage à cet homme d’action et artiste.
Musée National de la marine et ses établissements locaux :
- Palais de Chaillot, Paris
- Citadelle de Port-Louis, Port-Louis (56), Tél. : 02 97 12 10 37
- Château de Brest, Brest (29), Tél. : 02 98 22 12 39
- Place de la Galissonnière, Rochefort (17), Tél. : 05 46 99 86 57
- Place Monsenergue, Toulon (83), Tél. : 04 94 02 02 01
- Quai Saint-Etienne, Honfleur (14), Tél. : 02 31 89 14 12
Les autres peintres de marines
Au XVIIe siècle, les Hollandais ont été parmi les premiers à peindre des marines. Dans leur sillage, on croise les Anglais. Mais ces derniers brilleront surtout dans le genre au XIXe siècle avec de très belles aquarelles. En Italie, c’est à Venise et surtout à Naples que l’on rencontre de véritables écoles de peintres de marine. Au XIXe siècle, les États-Unis engendrent de nombreux talents dans la spécialité, mais leurs œuvres sont, aujourd’hui, devenues peu fréquentes en Europe.
En France, Antoine Roux (1765-1835) est considéré comme une figure de proue. Il est suivi par le rare Louis-Philippe Crépin (1772-1851) avec ses représentations de batailles navales. Nul n’a oublié Eugène Boudin (1824-1898), ses plages, ses vagues, ses ciels, ses nuages. Au dix-neuvième siècle, l’activité bouillonnante du port de Marseille inspira Antoine Roux (1755-1835) et ses trois fils Mathieu-Antoine, Frédéric et François-Geoffroy. Les célèbres « petits maîtres » marseillais, qui n’ont plus rien de petit compte tenu de leurs prix, ont parfois représenté la mer, tels Adolphe Monticelli (1824-1886), Félix Ziem (1821-1911) ou Jean-Baptiste Olive (1848-1936). Dans le Pas-de-Calais, les peintres de la côte d’Opale et de Berck-sur-Mer, comme Francis Tattegrain (1852-1915) ont rendu un hommage poignant à la dure vie des pêcheurs. Sauf exception, leurs prix sont moins élevés que ceux des Marseillais. Quant à la Bretagne, elle a vu défiler, depuis 1850 environ, à Pont-Aven et ailleurs, des nuées de peintres, qui n’avaient pas tous comme thème unique la mer, à l’instar de Maxime Maufra.